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Roman

Folklore, Charles Duttine (par Fawaz Hussain)

Ecrit par Fawaz Hussain , le Lundi, 03 Mai 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Folklore, Charles Duttine, La P’tite Hélène éditions, 2017, 202 pages, 18 €

 

Le mot anglais « folklore » désigne « l’ensemble des productions collectives émanant d’un peuple et se transmettant d’une génération à l’autre par la voie orale et par l’imitation ». Charles Duttine en élargit le sens et montre que son Folklore à lui n’a rien de folklorique. Son recueil de nouvelles est une illustration du dynamisme de la psyché et de sa pérennité empreinte de mystères. Enseignant en lettres et en philosophie, il semble avertir une fois pour toutes ses élèves que les mythes et les légendes qu’on dit d’un autre âge sont beaucoup plus présents qu’ils ne le pensent. Les archétypes comme Orphée, Eurydice, Médée, Narcisse, le Léviathan, Ariane, Thésée, Pygmalion, vivent parmi nous, avec toute la panoplie des nymphes et des satyres lubriques. Ils rôdent au pied des tours et des barres des cités de banlieue et défraient les chroniques dans les quartiers bourgeois de la capitale. Les monstres des croyances archaïques sont là où l’on les soupçonne le moins, bien tapis en nous, et ils rejaillissent de nos entrailles au moindre craquellement du vernis de la convenance. Le tour de force des treize nouvelles de Folklore le montre, preuves à l’appui.

Alegría, Manuel Vilas (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 29 Avril 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Espagne, Editions du Sous-Sol

Alegría, Editions du Sous-sol, janvier 2021, trad. espagnol, Isabelle Gugnon, 400 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Manuel Vilas Edition: Editions du Sous-Sol

 

« Je crois que pour la première fois j’ai contemplé la beauté de l’existence humaine, vu ce que cela signifiait d’exister, vu que j’existais, vu le vent, les arbres, je les ai tous vu exister. J’ai vu comment les pierres, les chemins, l’eau des rivières existaient ».

« Il faut toujours se préparer aux plus grosses déceptions qu’on puisse imaginer, au sein desquelles il faut laisser une place à la joie, oui, à la joie ».

Alegría, comme si nous chantions le bonheur de lire ce qui s’écrit dans la joie. Alegría, c’est cet instant final de la fiesta flamenca, ce fin de fiesta, qui est au flamenco, ce que la vuelta (1) est à la tauromachie, même joie partagée, mêmes frissons et même sentiment de joie partagé avec ce qu’il convient de retenue. Manuel Vilas transforme ce sentiment, cette Alegría, en un récit, une autobiographie où la langue se livre, comme se livrent ses souvenirs. Manuel Vilas poursuit une œuvre unique qui a débuté en traduction française avec Ordesa, chez le même éditeur et servi par la même traductrice (2). Alegría est le roman de la vie de l’écrivain qui se déroule sous nos yeux, entre Madrid, Barcelone, New York, Chicago, Barbastro, sa ville de naissance, où flamboie encore la flamme de ses parents.

Des kilomètres à la ronde, Vinca Van Eecke (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Jeudi, 29 Avril 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Seuil

Des kilomètres à la ronde, Vinca Van Eecke, août 2020, 240 pages, 18 € Edition: Seuil

 

L’auteure nous propose un premier roman avec un vrai style, très personnel et à l’ambiance particulièrement bien rendue, plongeant le lecteur dans une réalité scénarisée et très immédiate :

« Huit cents mètres caniculaires à arpenter, mon jean pesait une tonne. A la hauteur du Bar de la Source, Franz gara sa Suzuki sur le bas-côté de la route en repoussant sa visite ».

La vie s’écoule ainsi entre pêche à l’étang et foire événementielle où, presque symboliquement, Vinca Van Eecke transforme le moment en instant magique : « On était deux à compter ce qu’il nous restait de monnaie pour le stand à pinces, Laurène, douée d’une prédisposition pour le grappin, moi, malgré mes tentatives répétées, qui ne ramenais jamais rien, ni bracelet en toc, ni bibelot clinquant, ni la moindre peluche made in China quand Phil nous accosta… ».

Le pouvoir des braves, Étienne Longueville (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Jeudi, 29 Avril 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Philippe Rey

Le pouvoir des braves, Étienne Longueville, avril 2021, 267 pages, 20 € Edition: Philippe Rey

 

On les appelle les romans d’entreprise, ces récits consacrés aux transformations douloureuses auxquelles sont confrontés les salariés d’entreprises délocalisées, détruites, anéanties par le cynisme d’actionnaires cupides ou par l’imprévoyance des gestionnaires. Nathalie Kuperman, dans Et pourtant nous étions des êtres vivants, a restitué la souffrance des salariés d’un laboratoire, promis à la fermeture. Dans Ils désertent de Thierry Beinstingel, c’est le management moderne qui est dénoncé, l’impératif de virer les anciens, forcément archaïques et dépassés… Isabelle Stibbe, sans être issue du milieu ouvrier, a su décrire les derniers soubresauts d’une fonderie et les espoirs des sidérurgistes de Lorraine de voir se ranimer un jour la flamme des hauts fourneaux dans son roman Les Maîtres du printemps.

Étienne Longueville, dont c’est le premier roman, s’inscrit dans cette belle série ; il décrit le sort des salariés de l’usine de Plaintel, fermée en septembre 2018. Cette usine, nous dit l’auteur dans la postface du roman, est imaginaire ; le récit s’inspirant de l’histoire de l’Usine Giffard ouverte à Plaintel en 1974.

Ce n’était que la peste, Ludmila Oulitskaïa (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 28 Avril 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Russie, Gallimard

Ce n’était que la peste, avril 2021, trad. russe, Sophie Benech, 144 pages, 14 € . Ecrivain(s): Ludmila Oulitskaïa Edition: Gallimard

 

Ce court ouvrage est présenté comme « scénario ». Ludmila Oulitskaïa en a en effet produit plusieurs à destination du cinéma et le texte que Gallimard nous présente ici a été découvert seulement en 2020. En fait, on découvre rapidement qu’on a affaire à un texte très écrit, plus proche de la novella ou du court roman que du scénario. Le talent de la narration y est en quelque sorte décortiqué, décliné trait à trait : ruptures de situations, ruptures de ton, sens formidable du portrait en quelques lignes, ironie mordante du propos, tous les ressorts littéraires qui font de Oulitskaïa un des plus grands écrivains russes vivants se retrouvent condensés dans cet ouvrage.

Certes il s’agit de peste pulmonaire, d’une épidémie donc, qui forcément évoque notre crise sanitaire actuelle. Épidémie réelle, survenue à Moscou en 1939. Ou plutôt, poussée de peste qui fut rapidement contrôlée et éradiquée. Cependant l’intérêt majeur de l’événement est la période où il survient, pendant l’un des épisodes les plus effroyables de la grande Terreur stalinienne. Procès expéditifs, exils au Goulag, exécutions sommaires et assassinats sont le quotidien du peuple soviétique et en particulier de son intelligentsia, Staline a lâché ses chiens du NKVD et la Terreur est partout.