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Recensions

Deuil, Gudbergur Bergsson

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 18 Avril 2013. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Métailié

Deuil. Traduit de l’islandais par Eric Boury février 2013. 126 p. 15 € . Ecrivain(s): Gudbergur Bergsson Edition: Métailié

 

 

Etrangement, ce livre est beaucoup moins sombre qu’on ne l’attend. Pourtant tout y est, du titre au sujet et à la narration même. Un vieil homme, veuf, mal en point et assez dépressif qui n’a plus d’autre attente que la pathologie éventuelle et la mort inéluctable. Pas d’autres distractions que les souvenirs de sa femme aimée et perdue, de quelques scènes de sa vie, de ses enfants, affectivement lointains désormais. Pas d’autres distractions que le chuchotis d’une bouilloire, quelques bruits venus du dehors. Tout le cadre d’un roman noir, voire lugubre. Et pourtant, Bergsson écrit un récit qui ne l’est jamais.

Quelque chose d’un regard qui reste amusé sur le désastre qu’est en fin de compte, imparablement, une vie. Même le (les) malheur peut être vu avec un sourire, amer certes mais un sourire. Cela porte un nom : l’humour, une certaine épaisseur de distance au propos, que Bergsson manie avec talent. Même le souvenir douloureux de la femme d’une vie garde une trace d’amusement :

La femme en vol, Ile Eniger

Ecrit par Cathy Garcia , le Jeudi, 18 Avril 2013. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Roman

La femme en vol, Editions Parole, Collection main de femme, 250 p. 12 € . Ecrivain(s): Ile Eniger

 

La femme en vol c’est l’histoire d’une femme et son intimité amoureuse, familiale, racontée à la troisième personne du singulier. Une histoire qui se révèle par petites touches, comme une peinture. Et justement, cette femme, c’est Fane et Fane aime Jean, Jean qui aime Fane. Mais voilà, Jean aime aussi la solitude et la peinture, et Fane va peu à peu apprendre le prix de cet amour qui est à la hauteur de ses exigences. Aimer Jean, c’est l’accepter tout entier, parce que la solitude et la peinture l’emporteront sur son amour de femme, exigeant, exclusif, immense. Ce que Jean et Fane partagent et ne cesseront de partager, le ciment ou plutôt les ailes de leur amour, c’est une soif éperdue d’authenticité et de liberté.

« Bien sûr qu’elle avait eu envie de baisser les bras, de rentrer dans ces rangs bien droits, bien rassurants, bien sagement préparés pour toi dès que tu montres ta tête. Bien sûr que la facilité avait été tentante, la banalité attestée est tellement plus confortable que le contre-courant ! On t’aime quand tu commences à ressembler à tout le monde ! Tu oublies qui tu es, pour quoi tu es, et ceux qui pensent à ta place se font un plaisir d’organiser tes limites. On te coule dans le moule sans qu’un poil ne dépasse, tu es reconnu !

Correspondance 1946-1954 Saint John Perse, Calouste Gulbenkian

Ecrit par Guy Donikian , le Mercredi, 17 Avril 2013. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Gallimard, Correspondance

Correspondance, 1946-1954, Saint-John Perse, Calouste Gulbenkian, Gallimard, 333 pages, 22 € . Ecrivain(s): Saint-John Perse Edition: Gallimard

 

 

Une étonnante correspondance nous est livrée ici entre Saint-John Perse (Alexis Leger), le poète diplomate, et Calouste Gulbenkian, l’homme d’affaires, d’origine arménienne, le mécène fortuné qui constitua une collection de peinture reconnue mondialement et aujourd’hui exposée à Lisbonne. Cette édition a été établie par Vasco Graça Moura, poète, député européen et directeur de la fondation Gulbenkian à Lisbonne.

Ce sont 52 lettres de Saint-John Perse et 37 de Calouste Gulbenkian qui composent cette correspondance. Cet échange a lieu alors que le poète est exilé aux Etats-Unis, après l’armistice qu’il refuse. Les deux hommes, qui se surnomment Douglas, vont aborder des sujets qui auront trait à la situation politique internationale, à l’aménagement du parc des Enclos, propriété que Gulbenkian a acquise, et à leur santé mutuelle, parce que ce sont deux hypocondriaques.

L'étrange réveillon, Bertrand Santini/Lionel Richerand

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Mercredi, 17 Avril 2013. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Grasset, Jeunesse

L’étrange réveillon, Bertrand Santini, Lionel Richerand, Grasset-Jeunesse, octobre 2012, 13,50 € . Ecrivain(s): Bertrand Santini Edition: Grasset

 

L’étrange réveillon est un album pour la jeunesse qui se situe à l’intersection exacte de deux cours d’eau magnifiques, d’une précise tempétuosité : celui de Tim Burton (oh vous qui êtes séduit par le gothique, ne changez pas de route, cet album est fait pour vous) et celui d’Edward Gorey, moins connu mais non moins intense, d’une intensité qui conjugue l’inoubliable.

Cette filiation profonde tient en premier lieu aux dessins, qui nous surprennent dans leur hiératisme presque, dans la façon qu’ils ont de conjuguer l’épure, sachant également, à chaque fois que cela est nécessaire, se perdre presque en une profusion de détails qui nous enchantent, notre attention devenant soudain cette main tendue qui cherche à attraper le plus infime trait et à lui donner une signification. Si le noir, filiation oblige, trône, le dessinateur en joue comme en jouait Manet, c’est-à-dire comme s’il s’agissait d’une véritable couleur. Et se sert des autres couleurs présentes dans l’album pour exaucer celle-ci, précisément l’exaucer, la rendant à son trouble originel. À son trouble sans fin. Afin que ce noir nous apparaisse comme le noir de l’inconscient. Afin qu’il nous happe et nous entraîne en son fond, où l’on débusque une histoire rimée, qui achève de tisser, au moyen d’une ferveur et d’une délicatesse, la filiation avec Burton et Gorey.

De l'érotisme, Robert Desnos

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mardi, 16 Avril 2013. , dans Recensions, Les Livres, Essais, La Une Livres, Poésie, Gallimard

De l’érotisme, et Voici l’amour du fin fond des ténèbres, Annie Le Brun, février 2013, 116 p. 6,90 € . Ecrivain(s): Robert Desnos Edition: Gallimard

Gallimard propose sous la couverture de la collection « L’imaginaire » la réunion d’un texte de Desnos paru dans le recueil Nouvelles Hébrides et autres textes (1922-1933) édité chez Gallimard par Marie-Claire Dumas (dont les notes sont reprises ici), et de l’article publié par Annie Le Brun en 2011 dans le n°3 de la revue L’Étoile de mer (nouvelle série), cahiers de l’Association des Amis de Robert Desnos.

Le texte de Desnos, écrit à la demande du mécène Jacques Doucet en 1923, constitue une brève histoire de la littérature érotique de l’Antiquité à Guillaume Apollinaire. Cette histoire est partielle, et forcément partiale, puisque, comme l’explique Desnos dans un chapitre préliminaire, « l’érotique est une science individuelle ». La place laissée à Sade n’est cependant guère contestable, et Desnos bâtit entièrement son texte autour de son œuvre. Elle est en effet à ses yeux un ferment essentiel de l’esprit moderne, et cela bien au-delà du seul érotisme. Desnos distingue ensuite l’œuvre de Sacher-Masoch, le masochisme étant « la seule forme d’amour qui se soit développée depuis Sade ». S’il salue chez Apollinaire « le rôle essentiellement moderne du fouet », le lecteur ne peut s’empêcher d’évoquer la grande scène de flagellation du pensionnat d’Humming-Bird, dans La liberté ou l’amour !qui cristallise soudainement un fantasme érotique que Desnos place au cœur des « mystérieuses arcanes de [s]on érotique imagination » (La liberté ou l’amour, ch. X « Le pensionnat d’Humming-Bird Garden »).