Portraits, Dezső Kosztolányi
Portraits, traduit du hongrois par Ibolya Virág avec la collaboration de Michel Orcel, mai 2013, 192 p. 16 €
Ecrivain(s): Dezső Kosztolányi Edition: La Baconnière
Dans le portrait inaugural de ce livre qui en contient une trentaine, Dezső Kosztolányi explique qu’il recourt à la méthode de la maïeutique. A la manière de Platon, il tente « d’accoucher les esprits ». Il pose des questions, rebondit sur les réponses qui lui sont données. Et le terme « d’accoucher » est effectivement très à propos, puisque le premier portrait concerne… une sage-femme.
On sent déjà affleurer cette petite touche d’humour qui sera présente dans tous les portraits qui émaillent l’ouvrage.
Certains sont étonnés que Dezső Kosztolányi s’intéresse à eux, qu’il veuille à ce point connaître des détails de leur vie. Lui s’étonne qu’ils s’étonnent.
« Ils ne comprennent pas qu’ils sont intéressants en eux-mêmes ».
Tout au long du livre, Dezső Kosztolányi fait la rencontre avec de nombreuses personnes. Les plus souvent, il les désigne selon leur métier. Il sera ainsi question d’un choriste, d’un garçon de café, d’un prêtre, d’un diplomate, d’une domestique, d’une blanchisseuse ou d’un contrôleur de wagons-lits, mais aussi d’un Turc, d’un Tzigane ou d’une Française…
Chaque séquence est construite de la même manière. Dezső Kosztolányi introduit en expliquant quelle personne il rencontre et dans quelles circonstances. Suit une scène de dialogues, puis une conclusion en forme de « leçon de morale ».
Les anecdotes abondent. L’auteur fait preuve de curiosité et de compassion et ajoute toujours une petite touche d’humour savoureuse.
On apprend ainsi qu’il est facile de discuter avec des barbiers car ce sont des « causeurs nés ».
Un garçon de café parcourt pendant son service près de 50 kilomètres par jour. Son secret pour se préserver ? Soigner ses pieds en allant chaque matin se faire enlever cornes et callosités. Mais son métier ne concerne pas seulement les pieds, c’est aussi une question d’œil. En un clin d’œil, il est capable de connaître le « pedigree » de ses clients, c’est-à-dire ce qu’ils ont dans la tête et ce qu’ils ont dans les poches.
Il sera aussi question d’un menuisier qui ne connaît pas les arbres sinon sous forme de planches. Autrement, il ne sait pas distinguer un pin d’un bouleau.
Un maître-nageur révèle qu’il a connu un confrère qui ne savait pas… nager. La remarque surprit Dezső Kosztolányi. La réponse du maître-nageur :
« Voyez-vous, c’est exactement comme la critique littéraire. Il existe d’éminents critiques qui ne sont pas auteurs eux-mêmes. Malgré cela, ils sentent mieux ce qu’est l’écriture que ceux qui la pratiquent. Il y avait un critique norvégien de renom qui éreintait tout le temps les pièces de théâtre. Un jour, un écrivain au tempérament colérique finit par lui poser la question : comment pouvait-il juger si une pièce de théâtre était bonne ou mauvaise alors que lui-même n’en avait jamais écrite. Le critique lui fit une réponse habile. Il demanda à l’écrivain s’il avait déjà mangé des œufs. Evidemment, il en avait mangé. Il lui demanda alors s’il était capable de constater si un œuf était bon ou mauvais. Evidemment, il en était capable. Vous n’avez pourtant jamais fait d’œufs, lui fit-il alors remarquer. La théorie et la pratique sont des choses foncièrement différentes ».
Pour achever, on pourra méditer cette phrase issue de la rencontre de l’auteur avec un autre écrivain :
« L’écrivain est l’homme le plus insignifiant au monde. Il est vide, complètement vide. Sa consistance se trouve dans ses livres ».
Yann Suty
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