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Les Livres

J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus), Frédérique Martin

, le Jeudi, 14 Avril 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Nouvelles, Belfond

J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus), janvier 2016, 224 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Frédérique Martin Edition: Belfond

De t’acheter surtout !

De son recueil de douze nouvelles intitulé J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus), il ressort que l’univers de Frédérique Martin est personnel, étrange et parfois angoissant. A partir de situations d’apparence anodine, elle concocte de courtes histoires qui peuvent dériver jusqu’à la folie (Remugles) d’une plume tantôt légère, tantôt grave mais toujours belle.

Le titre du recueil est tiré de sa première nouvelle, Le désespoir des roses, histoire cruelle d’un jeune homme qui a décidé de vendre sa mère. Elle est veuve, elle commence à vieillir et il la propose contre la somme de 1500 € (avec le fauteuil où elle est assise). « Pour quitter l’enfance, vendre sa mère est indispensable ». Et il le faut bien : aucune femme n’accepterait d’épouser un célibataire qui garde encore sa mère auprès de lui. Après un marchandage sordide, il parvient à la céder pour un prix raisonnable. Rentré chez lui, il poursuit son existence misérable. « Je pleure sans pouvoir redresser la tête ». Parfois il croit reconnaître le pas de sa mère. « Je cours ouvrir la porte. Mais il n’y a personne dehors, rien d’autre que le désespoir tranquille des roses ». Moralité : ne vendez pas votre mère, elle n’a pas de prix.

La Huitième Reine, Bina Shah

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mercredi, 13 Avril 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Roman, Actes Sud

La Huitième Reine, février 2016, trad. anglais (Pakistan) Christine Le Bœuf, 347 pages, 23 € . Ecrivain(s): Bina Shah Edition: Actes Sud

 

Triptyque parfaitement équilibré entre l’Histoire – celle du Sindh, cette grande province au sud du Pakistan Oriental – l’Actualité contemporaine ; la fin de l’année 2007, qui, là-bas éclatera avec l’attentat meurtrier contre Benazir Bhutto, la huitième reine des légendes – et le roman, bien ancré dans le réel de la société et des mentalités Pakistanaises, autour du récit d’Ali, le héros, et les siens. Voilà un roman-récit-Histoire, qui aboutit à un voyage dépaysant, informatif, et magnifique de justesse d’écriture. Le lire, aujourd’hui, dans notre Europe menacée, massacrée, prenant encore une autre acuité, en liant davantage le lecteur à sa lecture.

Ali est entre plusieurs mondes, comme beaucoup en des pays semblables ; constant dédoublement, menaçant basculement : Karachi, où il est journaliste-TV officielle ; l’Occident américain, où il voudrait partir étudier (utiles pages vous donnant la procédure et les obstacles de la chose), et son Sindh, ses particularismes y compris sa langue, ses légendes auréolées de Saints Soufis combattant les tyrans, un tissu sociétal venu du plus loin de l’Histoire, arc-bouté sur des féodaux pour lesquels les liens d’homme à homme perdurent ici et maintenant.

La Prime Lumière, Emanuele Tonon

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Mercredi, 13 Avril 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Italie, Verdier

La Prime Lumière, mars 2016, trad. italien Laurent Lombard, 128 pages, 15 € . Ecrivain(s): Emanuele Tonon Edition: Verdier

 

La Prime lumière est le second roman d’Emanuele Tonon, et son premier traduit en français (de l’italien).

Ce texte autobiographique est le long cri lancé à la figure du monde d’un être désemparé et fou de désespoir après avoir perdu la seule femme qu’il ait aimée : sa mère.

A presque quarante ans, il a vécu à ses côtés les dix dernières années après être passé par le noviciat au couvent franciscain de Spello, sans se soucier jamais de savoir ce qu’il deviendrait sans elle. Cette mère éternelle dans son dévouement exclusif et total était, il est vrai, à peine âgée de soixante ans quand un accident vasculaire cérébral l’emporta.

Texte d’une intimité douloureuse et fragile comme l’est cet être qui doit désormais apprendre à grandir sans soutien, à regarder le monde sans appui, ce monde qu’il a essayé par tous les moyens de fuir (en s’enfermant à la recherche de Dieu, puis dans l’alcool…).

Le monde extérieur, Jorge Franco

Ecrit par Zoe Tisset , le Mercredi, 13 Avril 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Métailié

Le monde extérieur, traduit de l'espagnol (Colombie) par René Solis, mars 2016, 267 pages, 20 € . Ecrivain(s): Jorge Franco Edition: Métailié

Dans ce livre, plusieurs histoires s’entremêlent. Le lecteur est un peu comme un géologue étudiant les différentes strates d’une terre. Ici, c’est la Colombie, mais c’est aussi les états d’âme de personnages bigarrés, rencontres improbables d’une femme allemande désinhibée vivant à Berlin et d’un colombien plutôt sectaire, amoureux de musique classique et dont le meilleur ami est un ancien nazi.

« Il n’était pas encore habitué à la promiscuité de la nudité chez une femme bien élevée. Il ne lui avait jamais dit, mais il préférait qu’elle se change dans la salle de bain et qu’elle ressorte en peignoir. Lui n’était pas capable de se déshabiller devant elle, il mettait toujours son pyjama. Qu’elle lui enlève après c’était une autre histoire ».

Don Diego fait construire un château en Colombie pour habiter avec Dita, de cette union naît une fille : Isolda. Pour s’échapper de cette prison dorée, celle-ci avec la complicité de la forêt toute proche s’invente des coiffures incroyables, imbibée de terre, de fleurs et de feuilles, elle fuit l’ennui. « Dans la forêt, les cheveux d’Isolda se transforment en spirale qui grandit à mesure que les amirages les lui tressent. Et ils l’ornent avec des gueules de loup et des pensées mauves, jaunes et blanches. Elle, sereine, les laisse volontiers la coiffer avec leur corne jusqu’à ce que sa tête ressemble à un cornet de crème glacée ». Et puis il y a Mano, le garçon pauvre, extérieur au château, qui jour après jour observe Isolda, cette princesse, si loin de son monde.

Les obus jouaient à pigeon vole, Raphaël Jerusalmy

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 12 Avril 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Les obus jouaient à pigeon vole, éd. Bruno Doucey, février 2016, 177 pages, 15,50 € . Ecrivain(s): Raphaël Jérusalmy

 

C’est une magnifique mise en pages des dernières vingt-quatre heures d’Apollinaire au front, avant l’impact de l’éclat d’obus. Apollinaire qui s’engage pour voir l’autre côté, être sur le fil du rasoir, à la fois dans sa peau de poète et voir comment rejaillit sur la poésie la tension absurde de la guerre. Voir s’il est possible de la rendre utile, dans le sens où l’on dit : à quelque chose, malheur est bon.

Tout engranger, tout accepter, ne rien rejeter, ne pas s’exposer plus, mais non plus pas moins que ses hommes, qui l’ont surnommé « Cointreau-Whisky », plus facile à retenir, plus camarade. Apollinaire est celui qui les écoute, qui les entend en tant (en temps) qu’homme, pas en tant que supérieur. Même si lui reçoit lettres et revues d’art, il reste proche d’eux, ils l’enrichissent, enrichissent sa pensée, sa langue, entremêlant ses mots à lui, les leurs et la façon de les dire, de les accorder, d’en faire des acolytes.

Apollinaire n’est pas entre deux, mais de plain pied dans les deux mondes : à Paris et sur le front, à la guerre et en poésie. Il cueille en passant les éclats de vers et les éclats d’obus, sans rendre la guerre inoffensive mais en l’apprêtant, pour mieux la désarmer.