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Les Livres

Du rififi à Wall Street, Vlad Eisinger (par Jean-Jacques Bretou)

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Mercredi, 24 Mars 2021. , dans Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard)

Du rififi à Wall Street, Vlad Eisinger, janvier 2021, trad. Antoine Bello, 320 pages, 8,10 € Edition: Folio (Gallimard)

Vlad Eisinger rêvait d’écrire un jour le Grand Roman Américain. Alors, pour ce faire, il a passé la moitié des années 1990 à étudier à Columbia la littérature comparée. Puis, comme un Hemingway ou un Mailer, il a décidé pour élargir ses horizons de devenir journaliste. Engagé par le Wall Street Journal en 1997, il participa en 2001 à l’enquête sur l’entreprise Enron et ses pratiques délictueuses. La débâcle qu’ils semèrent à Wall Street lui valut le titre de senior reporter. Lassé du travail de journaliste et ayant mis un peu d’argent de côté après avoir frôlé le Pulitzer, il éprouva le besoin de changer de vie et se reconvertit comme auteur de fiction. Après avoir pris pour agent Lori Jacobson, il obtint un succès d’estime lors de la parution de son premier roman, Faux mouvement. Mais les livres suivants ne suivirent pas le même mouvement. Alors qu’il est obligé de faire des traductions afin de subvenir à ses besoins, il cherche un moyen de rebondir lorsque Kenneth Tar, patron de l’entreprise de câble Black, cotée en bourse, lui propose d’écrire un roman-vérité sur Black en échange d’un confortable revenu. Les clauses du contrat étant quasi léonines, il refuse ce travail et signe un autre contrat avec l’entreprise True fiction. En prenant le pseudonyme de Tom Capote, en hommage à l’auteur de De sang-froid, il va raconter l’histoire d’un magnat du pétrole aux combines très douteuses dans du Rififi à Wall Street. Mais cette histoire ressemble trop à celle de Kenneth Tar, il se trouve donc dans une très fâcheuse posture et poursuivi par les sbires de Tar.

La Sirène d’Isé, Hubert Haddad (par Fawaz Hussain)

Ecrit par Fawaz Hussain , le Mercredi, 24 Mars 2021. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Zulma

La Sirène d’Isé, Hubert Haddad, Zulma, janvier 2021,176 pages, 17,50 €

 

Dès le début, le lecteur est prévenu : il a entre les mains « une histoire véridique et pourtant fabuleuse ». Les événements se déroulent à Umwelt, une petite ville portuaire « face à la respiration cosmique de l’océan » et où le temps n’est « qu’un bloc de ténèbres sillonné d’éclairs ». Ce nom d’Umwelt, quoique ne figurant sur aucune carte, occupe pourtant une place capitale dans l’œuvre du biologiste et philosophe germano-balte Jakob von Uexküll.  L’Umwelt  désigne le milieu, l’environnement sensoriel propre à une espèce ou à un individu, c’est notre « véritable vision du monde ». Le nom des personnages comme Riwald, Sigrid, Willumsen, Martellhus laisse penser qu’on évolue dans la sphère germano-scandinave : Göteborg, ville portuaire de Suède est mentionnée à différente reprises sur la fin du roman, et la parenté est flagrante avec les contes du Norvégien Ibsen. La Sirène d’Isé se prête aisément à diverses interprétations et à plusieurs lectures.

Tourbillon, Shelby Foote (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 23 Mars 2021. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Gallimard

Tourbillon (Follow Me Down, 1950), Gallimard, Coll. La Noire, trad. américain, Maurice-Edgar Coindreau, Hervé Belkiri-Deluen, révisée par Marie-Caroline Aubert pour la réédition mars 2021, 400 pages, 21 € . Ecrivain(s): Shelby Foote Edition: Gallimard


Avant de tenir le moindre propos sur ce roman, il faut relever l’étrange pénombre dans laquelle il est encore tenu de nos jours, alors que sa traduction en français – magnifique comme toutes les traductions de Maurice-Edgar Coindreau (ici assisté de Hervé Belkiri-Deluen) – date de 1978. Et bravo à Gallimard La Noire qui a aujourd’hui l’intelligence de conserver la traduction de Coindreau avec seulement une révision de Marie-Caroline Aubert. Tourbillon (Follow Me Down) est un absolu chef-d’œuvre de la littérature américaine, à placer au rang des plus grands Faulkner. Dans une écriture éblouissante de vie, de richesse idiomatique, Shelby Foote se hisse dans ce que l’acte littéraire porte de plus magique : transposer le réel des hommes, composer l’incantation quasi biblique des pauvres blancs du Sud profond, le chant de cette terre mythique du Mississippi, la langue inimitable des paysans miséreux et oubliés de ce bout de monde.

Tordre la douleur, André Bucher (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 23 Mars 2021. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Le Mot et le Reste

Tordre la douleur, janvier 2021, 152 pages, 15 € . Ecrivain(s): André Bucher Edition: Le Mot et le Reste

 

C’est une voix bourrue, rude, brute, en accord avec le paysage de montagne et les rapides changements de temps, qui se fait entendre, qui s’élève et s’adoucit pour conter de petits faits, de petites existences brisées par le quotidien, par le cours des choses, ce qu’on n’attend pas, ce qu’on ne supporte plus… un trop-plein d’injustice, de minuscules gouttes qui font déborder le vase ou d’un raz-de-marée brisant une existence… la vie à vif, qui décape.

C’est une série de faits divers advenus à des personnages qui ne se connaissaient pas, et qui se rencontrent, un destin commun, comme on dit un pot commun, de brindilles ballottées.

La voix des hommes se mêle, sans la reconnaître, sans se reconnaître, à celle de la nature, la re-lisant, l’accompagnant parfois sans la déchiffrer : « La neige, cette douceur sourde surgie de la nuit assiégée, attisée par le vent, se durcissait à vue d’œil et en propulsant ses cristaux à l’horizontale, elle leur fouettait le visage » (p.122).

Le complexe de la sorcière, Isabelle Sorente (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Mardi, 23 Mars 2021. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Folio (Gallimard)

Le complexe de la sorcière, Isabelle Sorente, Folio, janvier 2021, 320 pages, 7,50 €

Comme Didier Smal l’a rappelé dans un article paru ici récemment (https://www.lacauselitteraire.fr/la-femme-est-une-sorciere-comme-les-autres-premiere-partie-par-didier-smal ), les sorcières sont à la mode – pour le pire et le meilleur, d’Instagram à la riche Collection Sorcières des éditions Cambourakis, où il n’est d’ailleurs pas question que de sorcières – à moins que si, selon la façon dont on les définit.

Voilà donc un livre de plus consacré à cette figure : certes, mais un livre singulier et étonnant. Il s’ouvre sur une sinistre visitation, qui devient peu à peu un personnage : l’image d’une femme interrogée et suppliciée, au crâne rasé, surgit dans l’esprit de l’auteure, un jour de juin, et s’y installe à demeure. Habitée, fascinée, Isabelle Sorente entreprend une quête dont le cheminement, fait de tours et de détours, de méandres et de cahots, est l’objet de ce livre où se mêlent récit intime, enquête historique abondamment documentée, psychologie, notamment transgénérationnelle, et des considérations, une sensibilité, d’ordre mystique – pas fumeux, pas farfelu, ni rien de cet acabit : mystique. Se mêlent aussi, dans ce livre, les temporalités – passés et présent – et les plans réel, symbolique et imaginaire, et ces entrecroisements apparaissent comme la façon la plus juste de relater l’expérience humaine, quelle qu’elle soit.