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Le veau, suivi de Le coureur de fond, Mo Yan

Ecrit par Guy Donikian 19.11.12 dans La Une Livres, Les Livres, Asie, Recensions, Nouvelles, Seuil

Le veau, suivi de Le coureur de fond, octobre 2012, 18,50 €

Ecrivain(s): Mo Yan Edition: Seuil

Le veau, suivi de Le coureur de fond, Mo Yan

 

Mo Yan, prix Nobel de littérature 2012, présente ici deux nouvelles dans lesquelles il se fait le témoin de son temps, nouvelles intitulées Le veau et Le coureur de fond. Le temps qu’il met en scène est celui de son enfance, vécue dans un village de la Chine de Mao. L’auteur sait parfaitement utiliser les faits les plus anodins, ou qui paraissaient tels dans ces lieux, pour nous plonger dans une époque qui faisait de l’absurde un paramètre ordinaire de la vie quotidienne et pour croquer des portraits savoureux de naïveté.

Le monde rural que dépeint Mo Yan est un monde difficile, où survivre suppose des astuces et un savoir que les paysans chinois de l’époque s’étaient transmis de génération en génération. Ainsi, comme on avait toujours châtré les veaux sans se soucier ni de la douleur que les animaux pouvaient ressentir ni des suites qu’une hygiène défaillante remettait au hasard ou aux dieux, l’enfant qu’était l’auteur assiste à la castration de trois veaux, dont un pour qui les choses tourneront mal.

C’est l’occasion pour nous rappeler aussi qu’existaient à l’époque des divisions telles que « paysans pauvres » et « paysans moyens pauvres », évocation qui se fait avec toute la naïveté et la nostalgie qui donnent aux propos du gamin un humour sans égal, tout en retenue et les descriptions des adultes prennent un tour pathétique. Ainsi l’auteur qui doit se rendre dans une commune voisine pour soigner le veau nommé Double Echine, dont la cicatrisation n’est pas du tout satisfaisante, donne-t-il le détail des provisions qu’on lui a octroyées : « Je portais un balluchon dans lequel j’avais mis une galette de farine de maïs, un poireau, un morceau de pâté de haricots noirs. C’était la prime qu’on m’avait donnée pour partir en mission ». Repas frugal en perspective mais qui valait bien mieux que les habituelles « patates douces et moisies ».

Le contexte dans lequel se déroulent les deux nouvelles est habilement suggéré par l’auteur. « Nous arrivâmes enfin au poste vétérinaire au moment où le haut-parleur de la commune populaire diffusa l’hymne national. Le soir, le haut-parleur commençait à diffuser à sept heures, à cette époque. Il entamait avec L’orient rouge, puis il annonçait le programme… Camarades paysans pauvres et moyen-pauvres, le programme d’aujourd’hui est terminé, au revoir ! ». La vie était donc rythmée par la diffusion de chants patriotiques et de nouvelles.

Dans la nouvelle intitulée Le coureur de fond, Mo Yan utilise un détachement feint pour faire sourire malgré la gravité des situations dans lesquelles ceux qu’il décrit sont pris. Ce sont les « droitiers », des personnes de « grande ressource » qui sont réunis dans un camp pour une « rééducation », mais dont le narrateur dit qu’il « rassemblait alors tous les talents : à peu près tout ce que la province comptait comme personnes qualifiées était là ». Et c’est l’occasion de portraits savoureux comme celui de la chanteuse Jiang Guiying accusée de perversité et qui travaillait à l’élevage des poulets, ou encore le portrait de cet ancien écrivain dont on dit que « dès qu’il avait eu du succès il avait mené une vie dissolue de bourgeois ». Tous ces « droitiers » et d’autres seront réunis pour la fête du travail, un 1ermai. Ce sont les élèves de l’école, les enseignants et ces fameux « droitiers » qui vont concourir dans cette école de Dayanglan. Si la trame a son importance, elle est aussi le prétexte, là encore, aux souvenirs de l’écrivain, souvenirs emprunts de cette nostalgie qui parcourt toutes les lignes de ces deux nouvelles, mais elle sert aussi l’écrivain pour faire revivre des heures plutôt sombres d’une époque, sans pour autant tomber dans le piège de la rancœur. Une belle finesse d’écriture.

 

Guy Donikian


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A propos de l'écrivain

Mo Yan

 

Mo Yan (pseudonyme signifiant « Celui qui ne parle pas »), né à Gaomi, dans le Shangdong, en 1955, est désormais un écrivain universellement reconnu. Une dizaine de ses romans et nouvelles sont traduits en français et publiés au Seuil, dont : Beaux seins, belles fesses (2004), Le Maître a de plus en plus d’humour (2005), Le Supplice du santal (2006), Quarante et un coups de canon (2008), La Dure Loi du karma (2009), Grenouilles (2011), Le Veau (2012). Il a obtenu le Prix Nobel de Littérature le 11 octobre 2012.

 

A propos du rédacteur

Guy Donikian

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