Schopenhauer lu par Thomas Mann : à n’en pas douter, nous sommes en présence d’un éminent exemple de ce qu’on appelle « la critique des maîtres », très loin de la grisaille journalistique ou des rodomontades des gloses universitaires. Les premières lignes de l’opuscule (« Notre joie en face d’un système métaphysique, notre satisfaction en présence d’une construction de la pensée, où le monde trouve son organisation spirituelle dans un ensemble logique, cohérent et harmonieux, relèvent toujours, à un degré éminent, de l’esthétique ; elles ont la même origine que le plaisir, que la haute satisfaction, toujours sereine finalement, dont nous enrichit l’activité artistique quand elle crée l’ordre et la forme et nous permet d’embrasser du regard le chaos de la vie en lui donnant la transparence ») déjà installent sur les sommets cette rencontre entre Schopenhauer et son « suffisant lecteur ». Avec une déconcertante simplicité, l’auteur de La Montagne magique surplombe l’œuvre du philosophe, en rappelant sa dette envers Platon, qui distinguait les choses de ce monde, images mobiles, en perpétuelle mutation, des réalités éternelles, et lesdites réalités, les Idées, immuables. Cette distinction platonicienne n’est pas une théorie poussiéreuse comme on en trouve chez Aristote. Par elle, Platon préparait le terrain, d’une part, à la démarche scientifique (où l’on recherche des lois simples, abstraites, derrière la multiplicité des phénomènes concrets), d’autre part au christianisme à venir.