Sanction, Ferdinand von Schirach (par Charles Duttine)
Sanction, Ferdinand von Schirach, février 2020, trad. allemand, Rose Labourie, 169 pages, 16 €
Edition: GallimardGénéalogie de nos fautes
Cousine du genre romanesque, la nouvelle est un récit bref, tendu, centré autour de peu de personnages et conduisant vers une « chute ». Elle n’est pas qu’un « roman court », comme on le dit parfois. Elle possède ses particularités, l’art de la litote, la capacité de suggérer plutôt que de détailler longuement, et un style épuré, des mots choisis, une écriture à la serpe. Néanmoins, derrière cette économie d’écriture, elle sait dire le drame d’un personnage, évoquer la complexité d’un autre ou encore faire découvrir une situation inédite. Un genre à part entière, trop négligé par le monde de l’édition, à notre goût.
Il est des auteurs amateurs de nouvelles, Maupassant, Stefan Zweig, Alice Munro, pour les plus célèbres. Et c’est le cas de l’auteur allemand Ferdinand von Schirach dont le dernier opus Sanction paraît chez Gallimard dans la Collection Du Monde entier. Comme ses autres recueils de nouvelles, Crimes, Coupables, le livre gravite autour du monde de la justice. Von Schirach est d’ailleurs un célèbre avocat pénaliste outre-Rhin.
On y suit quelques personnalités qui ont eu affaire de près ou de loin avec le monde judiciaire. Ce sont tous des personnages solitaires et qui connaissent une douleur secrète dans leur existence. Là, un homme profondément marqué par le deuil. Ici, une épouse délaissée. Dans une autre histoire, un retraité en apparence paisible, mécontent de voir son cadre de vie saccagé alors qu’il voulait le préserver à tout prix et qui va commettre l’irréparable. Ce sont des sortes de faits divers que raconte Ferdinand von Schirach avec une écriture minimaliste, aussi sèche et précise que le coup de scalpel d’un chirurgien.
L’intention de Von Schirach est de nous faire découvrir l’âme profonde et complexe d’êtres en apparence destinés au bonheur. Le nouvelliste gratte sous la carapace de ses protagonistes et nous livre les profondeurs secrètes de leur être comme pourrait le faire un généalogiste. Une fêlure s’y niche bien souvent qui va déclencher un moment de rupture conduisant au drame. Tous ont vécu un événement marquant au cours de leur vie, une sorte de point d’inflexion qui semble agir au plus profond d’eux-mêmes et qui va décider de leur destin. « Tous nos souvenirs sont profanes, et tous sont sacrés » dit l’un des personnages.
Enfin, la plupart de ces histoires sont empreintes d’une culpabilité diffuse, certainement un reflet de celle qui travaille la nation allemande. Par son histoire personnelle, petit-fils de Baldur von Schirach qui fut condamné par le tribunal de Nuremberg, Ferdinand von Schirach ne peut échapper à ce climat de culpabilité.
Le livre s’achève sur la confidence d’un personnage, paroles qui semblent traduire l’état d’esprit de l’auteur :
« La plupart des gens ignorent tout de la mort violente, ils ne savent pas à quoi elle ressemble, l’odeur qu’elle a et le vide qu’elle laisse derrière elle. J’ai pensé à ceux que j’ai défendus, à leur solitude, leur étrangeté et leur effroi face à eux-mêmes. De mes vingt années comme avocat pénaliste, il n’est resté qu’un carton, des bricoles, un stylo-plume vert qui n’écrit plus bien, un étui à cigarettes offert par un client, quelques lettres et photos (…) Qu’importe que nous soyons pharmacien, menuisier ou écrivain. Les règles ne sont jamais tout à fait les mêmes, mais l’étrangeté demeure, et la solitude, et tout le reste ».
Charles Duttine
Né à Munich en 1964, Ferdinand von Schirach est avocat au barreau de Berlin depuis 1994. Ses deux recueils de nouvelles, Crimes, et Coupables, ainsi que ses romans, L’affaire Collini, et Tabou, tous publiés par les Editions Gallimard, lui ont valu un succès international.
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