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La Une Livres

Héros et Tombes, Ernesto Sábato (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 22 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Roman, Points

Héros et Tombes (Heroes y Tumbas, 1961), Ernesto Sábato, Points Coll. Signatures, 2009, 529 pages, 10,70 € Edition: Points

 

Ce roman est un roman d’amour.

Ce roman est une descente aux Enfers.

Ce roman est un roman dans un roman dans un roman …

C’est un serpent constricteur qui étreint les deux personnages liés par un pacte létal : Martin par un amour maudit et une jalousie morbide, Alejándra par une cruauté invincible autant qu’involontaire. L’involontaire disait Lacan n’empêche pas l’intentionnel et les intentions de cette femme sont celles rien moins que du Diable : faire le Mal, avec soin, art, une forme de délectation, mais le Malin le fait toujours en toute innocence. Son amoralité est quasi parfaite – même les rares traces de compassion que ce pauvre fou de Martin lui fait éprouver deviennent des instruments de torture dans son âme égarée.

La fantaisie répond à la mélancolie, François Baillon (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Lundi, 20 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Le Coudrier

La fantaisie répond à la mélancolie, François Baillon, novembre 2019, ill. Odona Bernard, 139 pages, 20 € Edition: Le Coudrier

 

Dieu hésite au-dessus de son œuvre dans la bouillante marmite de sa création. Aurait-il un doute ?

François Baillon l’aide-t-il à faire feu de tout poème à précipiter, entre les mots du juste questionnement, la vivacité culinaire de la Poésie ?

C’est qu’il ne manque pas d’ingrédients à épicer une mélancolie philosophale d’une pincée de fantaisie : « Je réduis la cuisson, se dit Dieu, et tous les éléments devraient pouvoir rester ».

Dieu et le scientifique se confrontent dans une sorte d’hilarité explosive qui n’a rien à envier aux rétrécissements et agrandissements « d’Alice » dans son « Pays des merveilles », François tirant les audaces littéraires d’une sorte de chapeau d’Eternité, laissant éclater une sorte d’irresponsabilité d’un Dieu laissant échapper un projet inabouti ou peut-être bien, plus volontairement, obligeant l’Homme à prendre ses responsabilités.

Les Yeux dans les yeux, Le Pouvoir de la conversation à l’heure du numérique, Sherry Turkle (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Lundi, 20 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Actes Sud

Les Yeux dans les yeux, Le Pouvoir de la conversation à l’heure du numérique, Sherry Turkle, janvier 2020, trad. anglais, Elsa Petit, 553 pages, 28 € Edition: Actes Sud

 

Sherry Turkle, professeure au MIT, étudie depuis des dizaines d’années nos interactions avec les objets technologiques, concentrant son attention sur la manière dont ils affectent notre identité et nos relations sociales. Comme de nombreux autres penseurs des nouvelles technologies, son regard d’abord positif sur les possibilités d’expression offertes en ligne – à travers par exemple les avatars créés par les joueurs de jeux vidéo – est devenu beaucoup plus négatif à mesure que ces technologies s’imposaient dans notre quotidien, à la faveur du développement des smartphones, des progrès de l’intelligence artificielle, de la multiplication des objets connectés.

Le livre traduit par Actes Sud date de 2015 : c’est beaucoup pour un domaine en forte évolution. Les pages que Sherry Turkle consacre à l’impact des algorithmes des moteurs de recherche et des réseaux sociaux peuvent paraître ainsi un peu rapides, pour qui aura été attentif à la question durant ces cinq dernières années – les médias s’étant par exemple fait largement l’écho du livre du sociologue Dominique Cardon, À quoi rêvent les algorithmes (Seuil, 2015).

Au pays des poules aux œufs d’or, Eugène Savitzkaya (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Jeudi, 16 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Les éditions de Minuit

Au pays des poules aux œufs d’or, Eugène Savitzkaya, février 2020, 192 pages, 17 € Edition: Les éditions de Minuit

 

Plus qu’un roman, cet ouvrage peut être qualifié de long (et admirable) poème en prose. Le narrateur le dit aussi « conte » ou « fable » à plusieurs reprises, et il en possède en effet de nombreux aspects.

Sous ces diverses caractéristiques, il est tout aussi indéniable qu’on nous invite dès les premières lignes à une grande aventure, puisque nous assistons à la naissance (ou à la renaissance) d’une terre. Terre qui semble singulièrement proche de la nôtre, mais qui s’en distingue aussi par des traits très nets : comment admettre qu’une renarde et un héron soient devenus un couple, par exemple, et qu’ils aient le don de la parole, de surcroît ?

Nous l’avons dit, c’est une aventure : au sein du monde dont on nous parle, la temporalité est visiblement une donnée mineure. Seul compte le portrait d’une forme d’existence dans ce qu’elle a de plus léger et de plus innocent, de plus pourri et de plus envenimé. Qui dit aventure dit aussi quête et objectif : luisant comme un Saint-Graal indistinct, il nous faudrait enfin toucher ce « pays inaccessible » ; cependant, « aucune route ne menait au pays des poules aux œufs d’or » (p.26).

Ret Samadhi, Au-delà de la frontière, Geetanjali Shree (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 16 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Asie, Roman

Ret Samadhi, Au-delà de la frontière, Geetanjali Shree, Editions Des femmes mars 2020, trad. Hindi, Annie Montaut, 372 pages, 25 €

 

Geetanjali Shree : l’aventure humaine

Au moment où la voûte du vent emporte des vaines, de vulnérables vagues, à la voile du vide, et que vocifèrent les tempes, les héroïnes du roman de Geetanjali Shree vont sans vacarme. Invisibles ou presque, elles se moquent des vétilles à verrouiller dans une vie qui avance contre tempêtes et marées.

L’auteure répond à cet aujourd’hui où s’affole la peur. Stefan Zweig l’a bien mis en évidence dans Vingt-quatre heures de la vie d’une femme : « La plupart des gens n’ont qu’une imagination émoussée. Ce qui ne les touche pas directement, en leur enfonçant comme un coin aigu en plein cerveau, n’arrive guère à les émouvoir ; mais, si devant leurs yeux, à portée immédiate de leur sensibilité, se produit quelque chose, même de peu d’importance, aussitôt en eux bouillonne une passion démesurée. Alors ils compensent, dans une certaine mesure, leur indifférence coutumière par une véhémence déplacée et exagérée ».