Les après-midi d’hiver, Anna Zerbib (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Les après-midi d’hiver, Anna Zerbib, mars 2020, 176 pages, 16,50 €
Edition: Gallimard
L’hiver et après
Et si dans une vie ce qui comptait était plus le trajet que le but ? Après tout, les grands romans, du Rouge et le Noir à L’Etranger, le prouvent. Et Anna Zerbib le souligne presque naturellement par sa fiction.
Pour la présenter, elle écrit : « C’était l’hiver après celui de la mort de ma mère, c’est-à-dire mon deuxième hiver à Montréal. J’ai rencontré Noah et j’ai eu ce secret. Tout s’est produit pour moi hors du temps réglementaire de la perte de sens ». Et d’ajouter une peu plus loin : « Pour le secret, je ne suis pas certaine, il était peut-être là avant, un secret sans personne dedans ».
Mais il s’agit pour l’héroïne de réapprendre à vivre, sans rester prisonnière de la saumure de la mort de la mère, et de rallumer l’existence de diverses flammèches.
La fiction illustre comment rester rebelle aux harcèlements de temps et attendre la venue des hirondelles. Pas à pas. Pied à pied. A la disparition, succèdent l’amour, ses fantasmes, ses désillusions qui servent en de « petits arrangements avec le réel », en des ruses nécessaires pour tenir et attendre l’été avec des amants plus ou moins de passage.
Un ostinato progressif remplace l’état d’épuisement affectif et mental par une vie plus normale. L’héroïne ne marche plus en regardant ses pieds, et ses mains ne tentent plus de retenir le portrait de la disparue.
Il s’agit d’avaler les trottoirs de Montréal et en quelque sorte reprendre du volume. Peu à peu l’emprisonnée de l’hiver ne voit plus le fantôme et révise ses données subjectives sur le réel.
Tout se retrouve lointain et proche. Courageuse, celle qui se sentait orpheline casse le piège des contours, recrée des horizons. Dans le genre, c’est plus que bien là où il s’agit de savoir comment tenir debout en des glissements sur le gel et de remontées à niveau des gratte-ciels au gré des saisons.
Jean-Paul Gavard-Perret
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