De l’Angleterre et des Anglais, Graham Swift (par Théo Ananissoh)
De l’Angleterre et des Anglais, janvier 2019, trad. anglais Marie-Odile Fortier-Masek, 332 pages, 21 €
Ecrivain(s): Graham Swift Edition: GallimardLe titre original, England and Other Stories, et celui de la présente traduction en français sont sobres et justes. Mais, prétention de lecteur, une expression (sans doute moins bon titre, concédons) décrit et énonce encore mieux ce dont il s’agit : « For intérieur » – dans le secret de sa pensée, au tribunal de sa conscience… Voici ce que sont tous, sans exception, les vingt-cinq textes qui composent ce nouvel ouvrage de Graham Swift. Pourtant ce sont des récits très variés, très différents les uns des autres. Un foisonnement de personnages, de métiers, de conditions sociales, d’origines et d’époques… Dans l’une des premières nouvelles, un coiffeur grec méditatif se répète la phrase suivante : « Les autres, c’est la vie ». Exact ! Graham Swift, à travers l’âme ou l’esprit d’un homme, d’une femme, ou d’un adolescent, décrit, répertorie les autres, tous ces autres qui sont la vie – la vie anglaise, la vie en Angleterre hier, avant-hier ou aujourd’hui. Un homme d’affaires interrompt un moment son jogging pour passer en revue sa vie, son couple, ses amitiés, ses vacances en famille ; un homme « converse » avec son épouse défunte ; une grand-mère se souvient de la brève permission de son premier mari mort peu après au front pendant la Première Guerre ; un divorcé se remémore un soir où il essayait d’écrire sur la table de la cuisine son profond sentiment d’amour à son épouse qui dort ; un homme est invité à passer la soirée par son meilleur ami dont il désire la femme… Ces récits pensent, cogitent avec sincérité et une admirable délicatesse de mots et de sentiments.
« Il promenait sa fille Lucy dans sa poussette, même s’il eût été en âge d’être son grand-père, il écoutait son gazouillis, conscient qu’il l’aimait de tout son cœur, qu’en cet instant, il l’aimait plus que tout au monde. En réalité, elle n’aurait pas dû être là, elle n’aurait pas dû être là du tout. Il avait déjà eu et élevé une famille. Lui non plus n’aurait pas dû être là en train de pousser jusqu’au parc une petite enfant sans défense, encore à des années-lumière du langage articulé. Et pourtant il était là, et il l’aimait de tout son être, et il aimait son babillage comme s’il était un lien, un cordon reliant son cœur au sien. En toute honnêteté, il ne se souvenait pas d’avoir aimé ainsi ses autres enfants, désormais adultes ».
De Graham Swift, les éditions Gallimard ont publié, en 2017, Le dimanche des mères, un chef-d’œuvre du récit intérieur qui développe un personnage plus quelques autres. Cet ouvrage-ci – qui fait véritablement roman – déploie un nombre incalculable de personnages très accomplis et riches en sensibilité tranquille. Des gens de la vie ordinaire, des gens à la vie normale si l’on ose dire, des existences souvent paisibles… Les situations sont parfois des instantanés – un repas entre amis, une voiture dérapée dans un fossé au milieu de nulle part, des retrouvailles et des ruminations silencieuses lors d’un enterrement… –, mais toutes ont une facture de vérité qui captive le lecteur grâce à une écriture qui est celle d’un admirable maître du récit intérieur – d’un grand écrivain.
Théo Ananissoh
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