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Critiques

Les Poètes du Nord, Paul Verlaine (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine , le Mardi, 18 Juin 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Poésie, Gallimard

Les Poètes du Nord, avril 2019, 104 pages, 12 € . Ecrivain(s): Paul Verlaine Edition: Gallimard

 

Quand Verlaine tenait le rôle de conférencier

Que faire lorsque l’on veut défendre ce qu’on aime et que l’on est poète, dire l’ambition poétique, son enjeu majeur, son lien avec la vie ? On peut opter pour une préface, rédiger un manifeste, un Art Poétique, ou encore laisser la poésie se dire elle-même ? Il reste encore le truchement de la conférence. On en connaît quelques-unes de ces conférences qui ont marqué l’histoire ; par exemple celle donnée par Apollinaire en 1918, L’esprit nouveau et les poètes, ou encore Breton qui a multiplié les prises de paroles conférencières.

On nous apprend qu’il en fut de même pour Verlaine qui, vers la fin de sa vie, fit une tournée de conférences en Belgique, Hollande, Angleterre, et dans le Nord de la France qui lui était si cher au cœur. Il y était question du symbolisme, du Parnasse, des Poètes maudits, de sa propre œuvre… L’une d’elles restait inconnue, celle du 29 Mars 1894, prononcée à Paris au Café Le Procope. Verlaine l’avait intitulée Les Poètes du Nord. Redécouverte, elle vient d’être publiée par Gallimard avec une présentation très documentée de Patrice Locmant.

Les furtifs, Alain Damasio (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 17 Juin 2019. , dans Critiques, Les Livres, Science-fiction, La Une Livres, Roman

Les furtifs, éditions La Volte, avril 2019, 687 pages, 25 € . Ecrivain(s): Alain Damasio

 

Damasio collages et décollages

L’impact émotionnel – mais pas seulement – puissant dans les tensions que provoquent ces « furtifs » est puissant par les tensions que les deux héros gémellaires provoquent. Ils assument leur sécession et une marginalité. Il s’agit pour eux de « vivre ivres » dans des interstices que leur laisse leur collage et qu’évoquent les matières vibrantes poétiques, narratives, politiques aux assonances sauvages face à une technologie d’un âge d’or à la triste figure où le seul objectif est de trouver un art de vivre par la réappropriation des technologies avancées et fermées.

Romancier de l’état de la langue et du monde, Alain Damasio est une sorte d’actionniste littéraire. Il titille le lecteur par son art de la performance. Il vampirise la narration et sa materia prima dans un parcours où se révisent bien des invariants par un rituel romanesque, dont il ne conserve que le chapeau là où la ville ne dort jamais, prête à écraser les déviants dans sa puissance de contrôle…

Radicelles, Murièle Modély (par Cathy Garcia)

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 17 Juin 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Tarmac Editions

Radicelles, février 2019, photographies couleurs Vincent Motard-Avargues, préface Dominique Boudou, 40 pages, 18 € . Ecrivain(s): Murièle Modély Edition: Tarmac Editions

 

Murièle Modély a trop de talent pour être éditée, je ne me l’explique pas autrement, aussi quand enfin un de ses recueils voit le jour sur papier, c’est vraiment une grande joie que de tenir l’objet où l’écriture devient matière. Et pour une écriture aussi dense, un bel écrin s’impose. Après la Revue Nouveaux Délits qui avait publié Feu de tout bois, premier opus de sa Collection Délits buissonniers, c’est de nouveau un revuiste qui tend la main à la talentueuse poète : Jean-Claude Goiri qui publie la Revue FPM et a créé aussi les éditions Tarmac.

Radicelles est un duo, un vis-à-vis où la voix de la poète vient se frotter aux photographies couleurs de Vincent Motard-Avargues tandis que ces dernières entrent en résonance avec cette langue organique et accrocheuse.

On retrouve dans ce recueil, une thématique qui est précieuse à Murièle Modély, quasi obsessionnelle : l’île laissée derrière où sont plantées bien profond des racines lourdes de sang.

Et frappe le père à mort, John Wain (par Yann Suty)

Ecrit par Yann Suty , le Vendredi, 14 Juin 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Editions du Typhon

Et frappe le père à mort (Strike the Father Dead, 1962), mai 2019, trad. anglais Paul Dunand, 394 pages, 19 € . Ecrivain(s): John Wain Edition: Editions du Typhon

 

« La musique adoucit les mœurs », prétend le proverbe. Mais encore faut-il s’entendre de quel type de musique il est question. Car quand un père est féru de musique classique et son fils de jazz, la musique est plutôt source de heurts, de tensions. Ou elle ne fait qu’envenimer une situation déjà bien explosive. Et entre Jeremy et son père, Alfred, la musique n’est qu’un élément parmi d’autres de la discorde qui les oppose sous les yeux d’Eleanor, tante du premier et sœur du second, vieille fille dépassée par les événements, mais témoin privilégié pour donner un autre point de vue sur la situation.

Alfred est un professeur de grec à l’université, tendance rigide et arc-bouté sur des principes. Il mène une existence austère, entièrement dévouée à son travail. Pour lui, « un bon fils est un fils qui sait la grammaire grecque ». Or, Jeremy en a plus qu’assez de travailler ses versions et ses thèmes. Il a dix-sept ans et il rêve de musique. Depuis qu’il a découvert le jazz, Jeremy a cette musique « dans le sang ». Alors que pour son père, « jouer ou écouter du jazz avait quelque chose de déshonorant, un peu comme la masturbation ». Il la considère comme une « musique discordante, monotone et populaire », « une voie de perdition ».

Carnets, Goliarda Sapienza (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 14 Juin 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Biographie, Récits, Italie, Le Tripode

Carnets, janvier 2019, trad. italien Nathalie Castagné, 480 pages, 25 € . Ecrivain(s): Goliarda Sapienza Edition: Le Tripode

 

Tenir registre de sa vie, écrire son journal, voilà une entreprise que bien des auteurs ont tentée et peu réussie. Aux ouvrages célèbres (Journal littéraire de Paul Léautaud, celui monumental de Julien Green…), il faudra ajouter désormais les fameux Carnets de Goliarda Sapienza (1924-1996), dans lesquels la mémorialiste aiguë relate sa vie au-delà des sept années d’écriture de L’Art de la joie, pour une longue période âpre, presque sans argent (1976-1993). La très belle édition du Tripode (Paris), en hautes pages aérées, est un modèle du genre.

La sélection des milliers de pages par le compagnon de Goliarda, Angelo Pellegrino, donne lieu à de réelles plongées dans ces années-là, dans une Rome criblée de violences (Brigades Rouges…), dans l’atmosphère des voyages qui éclairent la conscience communiste de Goliarda, qui dessille enfin les yeux sur les atrocités des systèmes (Russie, Chine).

La plume n’épargne personne et d’abord elle-même, à qui elle réserve une grande part de sa sévérité foncière : elle se sent vidée (par l’écriture épuisante de ce livre qu’elle n’arrive pas à placer chez les éditeurs), alors qu’il faudrait remparer de tous côtés. L’absence d’Angelo (ne fût-ce que pour de petits voyages de travail) l’abat.