« Si tendre enfance, n’en garde évidemment aucune trace. Ma mère m’a conté l’épisode un jour, très naïvement. J’avais six mois, tout au plus. Au pied du manoir où je suis né, il y avait une grève. Avec mon père, on avait pris place dans cette pirogue – capitaine au long cours, mon oncle l’avait ramenée d’Afrique. Ma mère me tenait dans ses bras, quand la pirogue sur une vague esquissant menue embardée, elle m’aurait lâché. À cet âge-là, on ne flotte pas : j’ai plongé comme une pierre. Mon père avait heureusement des réflexes, le bras long et la poigne solide. Il m’a ramené sain et sauf – juste ébahi, me confia ma mère en gloussant. Lui-même n’en a conservé aucun souvenir. Quant à moi, si j’ai toujours à la fois béni, aimé et respecté les vagues, mère si maladroite lui ai toujours voué légitime défiance » (p.161).
Cet extraordinaire livre est au moins trois choses : d’abord (et comme son titre l’indique) c’est un unanime et perpétuel juron. Voilà ce qu’analyse surtout ce qui suit. Mais c’est aussi une immense foire aux revenants, comme on n’en avait jamais visitée ou ne l’avait crue possible. Enfin, c’est une universelle irrésistible déploration, un maelström d’inventives apocalypses – mais qui serait avec cela impeccable et joyeuse caravane de recettes d’existence de justesse (le genre de joie qu’on éprouve à miraculeusement survivre à l’enfer qu’on ne cesse de déclencher !).