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Zeitoun, Dave Eggers

Ecrit par Yann Suty 09.05.12 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Récits, USA, Gallimard

Zeitoun, trad. USA par Clément Baude, Avril 2012, 410 p. 22,50 €

Ecrivain(s): Dave Eggers Edition: Gallimard

Zeitoun, Dave Eggers

Ce livre n’est pas un roman, nous avertit l’auteur en préambule, mais un récit. Une histoire vraie, où « les dates, les horaires, les lieux, et les autres faits décrits ont été confirmés par des sources indépendantes et par l’historique des événements. Les conversations ont été retranscrites au plus près des souvenirs qu’en ont les personnes concernées. Certains noms ont été modifiés ».

Le livre raconte l’histoire d’Abdulrahman Zeitoun, dit Zeitoun, car personne n’arrive à prononcer le nom de ce Syrien émigré aux Etats-Unis. Il est marié à une américaine convertie à l’Islam, Kathy, avec laquelle il a trois enfants. Elle a un enfant d’un précédent mariage.

Zeitoun est entrepreneur. Il dirige une entreprise de peinture et de bâtiment. C’est un bricoleur hors pair. Il est « capable de voir un bâtiment en ruines et non seulement d’imaginer tout ce que l’on pouvait en faire, mais de savoir avec précision ce qu’il en coûterait et le temps qu’il faudrait ».

Il habite à La Nouvelle-Orléans.

Le récit se concentre sur le passage de l’ouragan Katrina à l’été 2005 et sur ses conséquences.

Ce n’est pas la première fois qu’un ouragan s’apprête à s’abattre sur la ville, mais cette fois-ci, il semble plus redoutable que les autres. Pour ne courir aucun risque, Kathy quitte La Nouvelle Orléans avec les enfants tandis que Zeitoun préfère rester et surveiller leur maison (« Un foyer méritait qu’on se batte pour lui ») mais aussi les appartements qu’il possède à travers la ville.

La ville se retrouve submergée.

Dave Eggers livre des pages saisissantes quand, le matin après la tempête, Zeitoun sort de chez lui (par la fenêtre de l’étage, car tout le rez-de-chaussée est inondé) et découvre une ville sous les eaux. Sous des eaux d’abord claires et pures. « Cette eau était propre. Translucide, presque verte », qui va ensuite devenir sale, porteuse de maladies.

L’inondation a provoqué un silence absolu. Zeitoun est frappé par « la beauté du spectacle ».

Il prend une barque et navigue à travers la ville. Submergée par près de trois mètres d’eau, on se croirait dans un autre monde, un monde de science-fiction, comme « le monde englouti » de J.G. Ballard.

Certains habitants n’ont pas été évacués. Des personnes âgées, notamment, qui ont du mal à se déplacer. Mais il y a aussi des chiens que leurs maîtres ont laissés, croyant qu’ils ne quittaient la ville que pour un jour ou deux.

Zeitoun est sûr d’avoir fait le bon choix en restant là. Il est persuadé que c’est parce que Dieu lui a confié la mission d’aider tous ces gens et tous ces animaux.

Mais bientôt cette vie va se transformer en cauchemar kafkaïen.

L’administration Bush est complètement dépassée par les événements provoqués par Katrina. Elle tarde à s’organiser. La Nouvelle-Orléans est en proie à des pilleurs. L’armée est envoyée, mais aussi des milices privées.

Quelques jours plus tard, Zeitoun se fait arrêter, alors qu’il se trouve pourtant dans l’un de ses appartements. Il est accusé d’être un pilleur. Il ne peut même pas se défendre ou passer un simple coup de fil à sa femme pour que quelqu’un se rende compte de ce malentendu. Il est jeté dans une prison haute sécurité, comme le pire des criminels.

Il se retrouve confronté à des geôliers racistes et sadiques, qui n’hésitent pas à l’humilier. Il est musulman ? Ils vont lui servir du porc à tous les repas. Il se retrouve dans une cellule où il ne peut même pas dormir. Il n’a pas le droit de parler, sinon c’est le gaz poivre ou les coups. Parce qu’il est d’origine syrienne, il se voit traiter de terroriste, de membre d’Al-Qaida, de taliban.

C’est une sorte de nouveau Guantanamo.

Zeitoun n’a même pas le droit de savoir ce dont on l’accuse. Et personne de sa famille ne sait où il est.

Le plus effarant, c’est que cette histoire est vraie. Si c’était un roman, l’histoire serait peut-être trop grosse, trop caricaturale. Les Etats-Unis, (les Etats-Unis du XXIe siècle, les Etats-Unis de George W. Bush) se transforment en si peu de temps en état fasciste où les individus sont privés de leur droit élémentaire sur la base du bon vouloir de certains représentants de l’ordre. Ou qui se font passer pour tels.

Il suffit de peu pour que les hommes perdent leur vernis civilisé et se transforment en bêtes sanguinaires, sans plus aucun respect pour leurs semblables.

Heureusement, l’Amérique d’aujourd’hui n’est pas un état fasciste et, finalement, Zeitoun sera relâché. Mais à quel prix ? Et avec quelles conséquences sur sa santé et sur celle de ses proches ?

Dave Eggers n’est pas un moraliste. Il fait parler les faits, à la manière d’un journaliste, décrit avec précision la descente aux enfers de Zeitoun, sans en rajouter dans le pathos. Cela n’en rend son propos que plus fort.

Ce qui impressionne le plus, c’est l’attitude de Zeitoun qui ne se résigne pas à son sort, mais qui ne veut pas (du moins dans un premier temps) accabler ceux qui le retiennent prisonnier. Il pense qu’il y a juste eu un malentendu, que tout va s’arranger. Il suffit de discuter. Mais personne ne veut discuter.

L’humiliation provoque un point de non-retour. Le plus dur pour Zeitoun sera ensuite de vivre comme avant. Même s’il est un entrepreneur à succès, parfaitement intégré, que tout le monde dans sa ville l’apprécie, il reste toujours cette petite différence qui fait la différence aux yeux de certains. En une minute, tout peut basculer quand vous n’avez pas la peau assez claire.

 

Yann Suty


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A propos de l'écrivain

Dave Eggers

Natif de Chicago, Dave Eggers est diplômé en journalisme de l’université de l’Illinois. Il habite aujourd’hui la région de San Francisco avec sa femme et ses deux enfants. Il est l’éditeur de la revue McSweeney’s, une maison d’édition indépendante qu’il a fondée à San Francisco. Il est l’auteur de six livres, romans, récits et de recueils de nouvelles, parmi lesquels Suive qui peut (2003), Pourquoi nous avons faim (2007) ou Le grand Quoi qui a obtenu le Prix Médicis étranger en 2009.

En 2002, Dave Eggers a cofondé 826 Valencia, un centre bénévole d’écriture et de formation pour les jeunes installés dans le Mission District de San Francisco. Depuis, des centres ont ouvert dans sept autres villes américaines. En 2004, Dave Eggers a enseigné à l’école de journalisme de l’université de Berkeley, où il a créé, avec le Dr Lolla Vollen, Voice of Witness, une collection de livres qui se servent de l’histoire orale pour éclairer les crises des droits de l’Homme dans le monde.

A propos du rédacteur

Yann Suty

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Membre fondateur


Yann Suty est écrivain, il a publié Cubes (2009) et Les Champs de Paris (2011), chez Stock