La quête infinie de l'autre rive, Sylvie Kandé (par Théo Ananissoh)
La quête infinie de l’autre rive, Ed. Gallimard Continents noirs, 2011, 107 p., 13,90 €
Ecrivain(s): Sylvie Kandé Edition: Gallimard
C’est sous-titré « épopée en trois chants » ; une manière juste de décrire cette œuvre vibrante de sensibilité et tout en rythme. La quête infinie de l’autre rive est pour ainsi dire un récit sans cesse sur mer. Quand les hommes sont décrits les pieds sur la terre ferme, c’est qu’ils sont au bord de l’océan, dans la fièvre des préparatifs du départ, ou à l’arrivée, au terme d’une immense expédition, débarqués sur une terre inconnue.
L’ouvrage est dédié à Joseph Ki-Zerbo, un des grands historiens africains. L’auteur elle-même a fait des études de lettres classiques et d’histoire. Celle-ci fonde son récit. On ne peut en comprendre tout à fait la trame sans le rappel d’un fait semble-t-il historique. C’est un épisode de l’histoire de l’empire du Mali (XIIIè-XVè siècle) fondé par le fameux Soundiata Keïta ; empire extrêmement vaste qui s’étendait sur les territoires actuels du Mali, du Sénégal, de la Gambie, de la Guinée, de la Mauritanie et d’une bonne partie de la Côte d’Ivoire. L’un des descendants de Soundiata, Aboubakar II, vers 1310-1312, organise deux expéditions pour, dit-on, voir les limites de l’océan. La première disparaît sans laisser de trace ; la seconde qu’il dirige lui-même… C’est justement ce qu’entreprend de conter Sylvie Kandé dans La quête infinie de l’autre rive.
Le récit est donc en trois séquences qui sont comme des flux et reflux narratifs. Le premier chant décrit l’expédition et son échec tel que Kankan Moussa lui-même, le fils et successeur d’Aboubakar II, le suppose. Le deuxième chant reprend le récit de cette même expédition et, privilège du poète sur l’historien, imagine que l’entreprise a réussi. Est donc décrit – en des pages d’une beauté poétique inspirée – ce débarquement en terre d’Amérique. Logiquement, ce deuxième chant est le panégyrique de l’homme exceptionnel qui a donc devancé Christophe Colomb. La troisième et dernière partie est contemporaine (troisième flux, temporel) ; l’extrême voyage sur mer est celui des clandestins actuels à bord d’embarcations de fortune, à chaque instant menacés de naufrage. La soif d’ailleurs, et aussi les gestes, les affres, les risques sont les mêmes qu’au temps d’Aboubakar II. C’est la chronique des mêmes douleurs, des mêmes souffrances, des mêmes accès de foi ou de découragement…
À pagayer leurs bras se sont faits pagaies
rivées dru à leurs torses noueux et bruns
et leurs pieds mangés de sel ne sont plus que moignons
qui ventousent au creux de la coque par le vif de sept plaies
Du vertige de leurs douleurs ils puisent encore la force de ramer
Car l’océan, hier et aujourd’hui, c’est toujours
cette fluide folie
cette immense absence de paysage
Récit poétique, « néo-épique » selon l’expression de son auteur, La quête infinie de l’autre rive – tout est dans cet infini – manifeste une qualité de langue et d’écriture simplement exceptionnelle.
Theo Ananissoh
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