Signoret ou la traversée des apparences, Chantal Pelletier
Signoret ou la traversée des apparences, septembre 2015, 128 pages, 12 €
Ecrivain(s): Chantal Pelletier Edition: Editions des Busclats
Au départ du livre Signoret ou la traversée des apparences, paru en 2015 aux éditions des Busclats, Chantal Pelletier nous avertit d’emblée : « Simone Signoret ne me passionnait pas… », en fait, ce livre est une commande d’une productrice de la télévision.
Répondant à cette demande, peu à peu l’auteur va se prendre au jeu avec des sentiments contradictoires, perplexité, agacement puis « une rêverie » a surgi en elle pour « cette femme puissante », figure féminine française du XXème siècle. Elle aurait même souhaité la rencontrer, en faire une amie.
Cette femme, finalement, l’entraîne dans son sillage. Lecteur, ne vous y trompez pas, Chantal Pelletier ne rédige pas une biographie, non pas du tout. L’écrivain se prend d’affection pour le personnage qu’elle donne d’elle à l’image et surtout pour la personne de cette « femme puissante ». C’est en tant que femme engagée qu’elle va la suivre. Et nous allons cheminer avec elle dans un portrait à facettes. Elle va nous dévoiler son parcours glorieux, chaotique, déchiré, déchirant, exaltant, celui d’une femme au parcours d’une femme « au cœur battant qui a bravé beaucoup de tabous, a osé ce que personne n’avait osé avant elle et que personne n’osa après elle ».
Simone Signoret a le tort, dans ce monde de paillettes, d’artifice, d’être vraie, intelligente. Certes, elle a souvent frôlé les excès, elle a trop bu et s’est enlaidie sans rien regretter de sa beauté solaire passée, refusant de se trafiquer. Elle a aimé sans lésiner, ne suivant que son désir. Elle a lutté pour la liberté, la sienne et celle des humains. Elle s’est autorisée à écrire sans recourir à des nègres, juste avec ses propres mots, forts, cinglants, sans haine et sans envie de revanche.
En 1952, Casque d’or de Jacques Becker a fait sa gloire tardivement car le tragique de ce récit passe mal dans cette France d’après-guerre qui recherche la distraction. Mais ce film deviendra au fil du temps un grand classique. En 1977 La vie devant soi de Moshe Mizrahi l’a rendue touchante quand la vieillesse l’a, bien jeune encore, rattrapée. Dans ces deux films que 25 ans séparent, elle confirme le même talent, la même solidité, la même force. Les récompenses jalonneront sa vie, le César, un Oscar pour Les chemins de la haute ville. Mais ce n’est pas cela qui passionne Chantal Pelletier. Ce qui l’emballe c’est la femme accomplie qu’elle va jusqu’à tutoyer comme une intime qu’elle devient pour l’auteur au fil des pages.
L’admiration remplace la distance méfiante du départ et peu à peu, nous nous laissons prendre dans ses mots élogieux. Nous pénétrons dans ses amours passions si romanesques et nous la suivons dans sa fidélité sans faille au grand amour de sa vie pour celui qu’elle appellera toute sa vie Montand. Un sacré nom pour un homme qu’elle a guidé, emporté, admiré et toute sa vie accompagné. Lui, sera volage, elle pas. Elle en paiera le prix mais elle n’est pas avare. Elle offre ses sentiments sans compter et finit toujours par pardonner. « Tant pis si la souffrance est au rendez-vous ». Depuis sa jeunesse, elle admire le couple Sartre-Beauvoir et comme eux, elle choisira l’amour véritable faisant fi, au-delà de sa jalousie, des amours contingentes. Et Yves Montand reviendra à chaque fois vers celle qui est son pilier, son havre, son refuge.
Il ne faut pas oublier que Simone Signoret n’est pas qu’une actrice avec un corps magnifique. C’est aussi une femme qui pense, une fille qui vient d’un milieu éclairé. Elle est parfaitement bilingue d’où son succès dans les pays anglo-saxons. Elle est constante dans ses valeurs humanistes et elle n’en dérogera pas. Militante de gauche, elle le restera toute sa vie, tout en ne se laissant jamais endoctriner, ni ne se gênant pas de critiquer ce qui la choque, la dérange, la contrarie. Et il est à penser que c’est cette battante, combattante qui a emporté l’admiration de Chantal Pelletier et l’a fortement incitée à écrire ce livre, non pas sur elle, mais en prenant comme exemple cette femme qui « fut une image et a su faire fi de cette image ». Et l’auteur poursuit : « Ecrivant cela, je cherche un exemple d’une autre grande vedette féminine qui, quarante ans après avoir été jeune première, adulée au cinéma, après avoir subjugué les foules par sa beauté, accepterait de laisser totalement aux oubliettes sa splendeur passée et réussirait avec autant de brio, de vigueur – et de succès ! – à incarner, et dans un rôle principal, la décrépitude d’un personnage, sans se tartiner de maquillage et de précautions visant à camoufler ses rides ».
En ces temps incertains, gorgés d’inquiétudes diverses et justifiées face à la complexité du monde, Simone Signoret est et demeure une femme à laquelle nous pourrions nous identifier et qui pourrait nous servir de modèle, non pas à suivre pas à pas, mais dont nous pourrions saisir certains traits utiles pour conduire notre existence. Comme elle, il serait bon de ne pas accepter de nous soumettre à l’ordre établi, de ne pas nous plier à la servitude volontaire et de garder cette force vitale même dans les moments les plus douloureux de nos existences. Quant à Chantal Pelletier, qui, dans son romanCinq femmes chinoises, décrivait déjà des femmes au caractère bien trempé, on ne doit pas s’étonner qu’elle se soit attachée à la personnalité à multiples facettes de cette actrice lumineuse même dans la vieillesse et d’une si grande intelligence.
Pierrette Epsztein
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