Romancero Gitano, Romances gitanes, suivi de Complainte funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias, Federico Garcia Lorca (traduit par Michel Host)
Romancero Gitano, Romances gitanes, suivi de Complainte funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias, éd. Alcyone coll. Mitra, 2017, trad. Michel Host, 16 €
Ecrivain(s): Federico Garcia LorcaLa nouvelle traduction de Michel Host restitue parfaitement la mélodie, les rythmes, les battements du cœur, la froideur géométrique, les clartés et les ténèbres de F.G. Lorca. Chez le poète espagnol, le désir comme l’angoisse défont l’apparence. Il montre celui (ou celle) qu’on refuse de reconnaître. La poésie rapproche donc de l’inconnu, atteint son énigme :
« Des brises de roseaux mouillés
et la rumeur de voix anciennes
résonnaient au travers de l’arc
brisé du mitan de la nuit.
Les bœufs et les roses dormaient.
Mais voilà, par les hauts corridors
les quatre lanternes clamaient
avec la fureur d’un saint Georges.
Tristes les femmes dans le val
descendaient son sang, du sang d’homme,
sang tranquille de fleur coupée,
sang amer d’une jeune cuisse ».
L’érotisme noir d’une telle poésie – car érotisme il y a – s’élève contre tout effet de simplification entre désir et mort. L’écriture est cuisante tant par les mots que leur « mise en scène ». Les textes de l’auteur font de chaque poème un contre-chant par l’intensité voulue mais retenue et le rythme des formes qui agitent des forces telluriques. Elles participent au monde rêvé ou au monde craint : à celui des rêves comme des cauchemars. Le corps qui emporte le regard n’est plus celui de la béatitude exaltante. Le « réalisme » ou plutôt la figuration rapproche inconsciemment d’un souffle de l’origine qui tente de se respirer par ce qui est suggéré.
Surgit un sentiment paradoxal : nous échappons au corps tout en n’étant rien sans lui. Il est notre rien d’autre. Son impossible approche (à l’inverse des personnages qui n’ont de cesse d’être en fusion même par-delà la mort) atteste parfois des « sanglots ardents » dont parlait Baudelaire. Le corps est sans doute désirable mais devient ce dont Barthes rêvait pour l’art du nu.
En lui le désir a nécessairement un objet mais il convient à un poète de ne pas le réduire à un objet de fantasme. Cela n’est pas simple. Toutefois Lorca réussit à trouver une sidération insécable de la désidération. La nudité offerte n’est pas consommable. Elle devient le miroir brisé du simulacre. Elle est la vision remisée et l’aveu contrarié par la mort. Plus besoin de lui tourner le dos : comme un fantôme la nudité elle-même gagne sa fuite comme les vieilles femmes du fleuve qui
« pleuraient au pied de la montagne
une minute infranchissable
de chevelures et de noms ».
Michel Host offre ainsi la traduction la plus parfaite de ces textes. Il leur redonne un lustre dégagé de tous éléments superfétatoires.
Jean-Paul Gavard-Perret
Lire la critique de Léon-Marc Levy sur la même oeuvre
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