Romancero Gitano, Federico Garcia Lorca (traduit par Michel Host)
Romancero Gitano, Romances gitanes suivies de complainte funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias, Trad. espagnol Michel Host, 60 pages, 16 €
Ecrivain(s): Federico Garcia Lorca Edition: Atlantique
En cette période de rentrée littéraire, où l’assez bon côtoie trop souvent le médiocre voire l’affligeant, avoir ce petit livre dans les mains est comme un cadeau : le cadeau de la beauté absolue, de l’intelligence, de la langue. De la littérature enfin, en un mot. De la littérature dans son expression originelle, la poésie.
Retrouver Lorca après trop longtemps d’absence ressemble à un retour aux racines, au bercail, au territoire qu’on ne devrait jamais quitter, ne jamais oublier de revisiter. Tout y est suffocant de beauté et d’une familiarité profonde. Parce qu’on sait par cœur certains poèmes de ce recueil mais aussi, et surtout, parce qu’on prend en pleine face le souffle du « duende » lorcien, cette musique sombre, cette âme profonde et saisissante qui émane non seulement des mots de Lorca mais aussi d’un au-delà des mots, d’un point suspendu hors du temps et qu’on sait être l’Espagne, l’Andalousie dans ses gammes les plus graves. « Les sons noirs » dont parlait Lorca.
Lisez la préface de Michel Host. Elle est lumineuse dans son propos. Le duende c’est ce qui a mené Michel Host à cette traduction. A ce miracle de traduction. A la fin de cette préface, Michel Host s’inquiète :
« (le duende) habite le Romancero gitano, et quoique revêtu de ses oripeaux français, j’espère ne pas l’en avoir chassé. »
Qu’il ne s’inquiète plus ! Et c’est bien là le miracle de ce petit recueil. Dans la magie du travail de traduction parvient à « passer » la musique de basse des octosyllabes de Lorca dans celle des octosyllabes en langue française. Il ne s’agit plus de traduction mais d’un glissement sonore où le sens n’a de sens que pétri dans la glaise des sons. Que serait une « traduction » du romancero sans le duende ? Un pur exercice sémantique ? Michel Host traque la sève du chant lorcien et elle coule dans ses vers traduits.
Il fallait oser et, pour qui osait, il fallait réussir. Ce recueil est un double chef-d’œuvre : celui de Federico Garcia Lorca bien sûr, poète à vif de l’Espagne à vif ; celui de Michel Host qui ici fait aussi œuvre de poète en faisant murmurer le duende dans une langue qui n’est pas la sienne.
Ecoutez :
Los caballos negros son. Noirs ils sont, noirs sont les chevaux.
Las harraduras son negras. Leurs fers aussi, leurs fers sont noirs.
Sobre las capas relucen Sur leurs capes partout reluisent
Manchas de tinta y de cera. Des macules d’encre et de cire.
Tienen, por eso no lloran, Ils ont, c’est pourquoi ils ne pleurent
De plomo de calaveras. Si obtus, des crânes de plomb.
Con el alma de charol Avec leur âme en cuir verni
Vienen por la carretera. Ils arrivent par la grand-route.
Jorobados y nocturnos, Bossus au milieu de la nuit,
Por donde animan ordenan Là où ils passent ils disposent
Silencios de goma oscura Des silences de gomme obscure
Y miedos de fina arena. Et tant de peurs de sable fin.
Pasan, si quieren pasar, Ils passent s’ils veulent passer,
Y ocultan en la cabeza Puis dans leur tête dissimulent
Une vaga astronomia une imprécise astronomie
De pistolas inconcretas. De pistolets immatériels.
La traduction de Michel Host n’est surtout pas un exercice de respect figé devant la figure devenue mythique de Federico Garcia Lorca. Elle est passion partagée de l’Espagne, de sa langue et d’un des plus grands de ses poètes. C’est l’un des événements authentiques de cette « rentrée ».
Léon-Marc Levy
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
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VL3 : assez haute VL
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