Quitter Paris, Stéphanie Arc (par Patrick Devaux)
Quitter Paris, Stéphanie Arc, janvier 2020, 96 pages, 13,80 €
Edition: Rivages
Avec un esprit pratique genre « liste de courses » ou « choses à cocher et à faire », Stéphanie Arc nous emmène à la fois dans l’organisation requise pour vivre dans un espace limité où il est permis de rêver de grandeur, de compagnie animale ou humaine et dans ses souvenirs d’enfance.
La narratrice s’en donne à cœur joie avec un ton d’humour original et particulier qui donne à sa démarche tout son sens : « Je vous l’accorde, il n’est pas simple de réaliser ses rêves, certaines difficultés paraissent insurmontables. Mais il y a une solution ! Vous avez de l’argent de côté ? Il est temps d’investir ! /600.000 euros pour 70 mètres carrés vous paraissent excessifs ? Optez pour la location/ Vous êtes free-lance, aucun propriétaire ne retiendra votre dossier ? Trouvez un contrat à durée indéterminée/ La presse est un secteur en berne ? Incitez votre conjoint(e) à signer un CDI, et installez-vous ensemble/ Vous refusez de vivre à deux dans 40 mètres carrés ? Il va falloir y mettre du vôtre…/ Avez-vous pensé à quitter Paris ? ».
L’humour n’est pas en reste dans Quitter Paris, Stéphanie Arc s’en donnant à cœur joie dans ce roman proche de ce qui paraît être du vécu tant c’est si bien imaginé, les propos énonçant une réalité appuyée de statistiques virevoltant dans une sorte de permanente pirouette littéraire poussant la réalité à son comble : « Les Parisiens qui piquent des sprints dans le métro et dévalent les marches de l’Opéra ne sont pas stressés : ils s’entraînent ».
C’est un fait acquis que la narratrice aime la ville.
Pourtant, s’y époumonant en rythmes parfois difficiles à suivre, il lui faut se ressourcer, par opposition, à l’air libre : « Quand on s’élance dans un champ de fleurs, on réfléchit comme on respire, et c’est pourquoi je monte le plus souvent possible dans des trains, des avions ou des automobiles, en direction d’espaces plus ondulants et verdoyants que les périphériques intérieur et extérieur ».
Le style, cadencé, proche parfois de la dérision, a ce quelque chose qui plaît, genre le film On connait la chanson où Audrey Tautou tient le rôle principal. Débobiné à une vitesse certaine (y compris cérébrale), ce style n’empêche pas un cadrage précis dans ce que souhaite calibrer l’auteur, se revendiquant elle-même dans un contexte global.
Le ton parfois badin n’empêche pas la prise de conscience sérieuse : « Privés de verdure trop longtemps, les organismes sont tout perturbés, on ne sait plus s’il faut courir ou dormir, mourir ou manger, toutes nos activités s’embrouillent. Bien que la Terre sans nous continue de tourner, nous flottons indécis entre les saisons ».
Parfois l’écrivaine use d’une ponctuation qui, tout en ayant l’air anodine, renforce le propos comme avec ces parenthèses : (« Il faut laisser les écrivains tranquilles, il faut leur donner un bureau, avec vue sur jardin, qu’ils s’y enferment aussi longtemps qu’ils le souhaitent et qu’ils aillent dans la forêt quand ça leur chante. Peinards »).
Alors, « Quitter Paris » ou y rester ? Tous les travers d’une grande ville sont évoqués mais avec un tel amour que ce « départ », comparé parfois par l’auteur à une évasion rocambolesque, a l’air aussi difficile que de rester.
Ce livre de va-et-vient où les rencontres, les abandons, sont également évoqués, a tout de l’éternel retour… ou… d’un compromis…
De quoi faire un livre culte pour aimer Paris autrement, aussi la nature et… pour aimer tout court :
« Scénario miracle : éprise d’une femme que j’aime, et qui m’aime, je décide de m’installer avec elle. Je n’ai plus peur que cette relation m’empêche d’écrire ».
Et le lecteur de se dire… Ne plus écrire ? Certainement pas !
Patrick Devaux
Après un bac scientifique et des études de philosophie à la Sorbonne, Stéphanie Arc a travaillé aux éditions du Seuil avant de devenir auteure et journaliste. Secrétaire de rédaction (Science et Vie Junior, Arts magazine, Première…), elle est aussi coordinatrice éditoriale et rédactrice, notamment pour le Centre national de recherche scientifique (CNRS le journal), pour lequel elle a écrit de nombreux articles (interviews, dossiers, portraits…). Quitter Paris est son premier roman.
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