Quitter Dakar, Sophie-Anne Delhomme (par Théo Ananissoh)
Quitter Dakar. 2010. 13,50 €
Ecrivain(s): Sophie-Anne Delhomme Edition: Le Rouergue
Quitter Dakar, c’est en fait y revenir. Quitter, revenir, ces mots qui s’imposent ainsi d’entrée de jeu indiquent ce qui caractérise le roman de Sophie-Anne Delhomme : le mouvement. De bout en bout, c’est un va-et-vient permanent ; va-et-vient entre la France et le Sénégal, mais aussi allers et retours entre le présent et le passé, entre la réalité et l’imaginaire, entre un je et un il qui, alternativement, se relaient pour raconter. Roman tout en déplacements donc, sans agitation toutefois, mais en quête ; de quoi ? De la mère, de soi, de la vie qui fut la leur, au garçon et à la mère, dans ce pays d’Afrique.
Manuela, c’est le prénom de la mère. Elle est décédée en 1985. Littéralement – le cliché force la main pour ainsi dire –, elle a l’Afrique ou, si l’on préfère, le Sénégal dans la peau. Elle y vit avec son fils dans la maison du Point E et possède une boutique qui va faire faillite. C’est un personnage complexe, comme du reste tous les autres de ce beau roman. On hésite à la définir d’une expression qui pourtant, là aussi, semble s’imposer : mère irresponsable. Les nuits, souvent, le jeune garçon doit se débrouiller seul pour trouver le sommeil dans la grande maison, à peine veillé par une bonne pendant que la mère rejoint un amant dans un night-club de la capitale sénégalaise.
L’adulte qui revient ainsi sur les lieux de l’enfance se souvient calmement de chaque épisode. Par exemple de cette nuit où il sort de son lit, et finit par s’endormir dans le placard. Personne ne le cherche. Il sera réveillé par les bruits que font la mère et son amant en rentrant.
« L’homme l’avait reprise par la taille et l’avait entraînée en lui caressant les fesses. »
Le roman de Sophie-Anne Delhomme foisonne de ces détails d’une enfance bien particulière du fait de la personnalité d’une mère dont la passion pour cette part d’Afrique trouble et fascine. Mère "fantasque" et "solaire" comme la définit la quatrième de couverture ? Sans doute. Cette mère qui, pourtant, lorsque son garçon se cache de tous pendant des heures, crie et dit qu’elle « se tuerait si elle devait encore passer une nuit sans son fils » !
Rentrée en France en juin 1973 avec son fils, la mère, chaque année en avril, retournera seule au Sénégal passer une « quinzaine ». Retrouver Dakar lui fait un bien littéral. « Loin de Dakar, elle se fanait comme une fleur. Chaque année, elle économisait pour y retourner, elle en revenait vivante et mourait peu à peu jusqu’à l’année suivante. »
Des années après le décès de cette mère, le garçon, devenu adulte, déambule dans Dakar et ses environs, revisite ces lieux qui revitalisaient tant sa mère. Il retrouve les hommes et les femmes qui entouraient autrefois la mère. Rencontres presque toujours décevantes, troublantes en tous les cas, que le narrateur appréhende à juste titre, craignant sans cesse que – belle expression d’un sentiment ! – « quelque chose ne (lui) explose à la figure. » Quitter Dakar est un surprenant récit tout en sensibilité ; rien n’y est affirmatif ou vindicatif, même lorsque les personnages ou les souvenirs sont rudes, extrêmement rudes. C’est un récit de soi, de ses sentiments, forts, intenses, douloureux, fait avec une économie dans le style, une pertinence des mots qui donnent à ce premier roman un admirable cachet de réussite.
Théo Ananissoh
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