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Œuvres, Louise Labé (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 30.06.22 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie, Garnier-Flammarion

Œuvres, Louise Labé, Garnier-Flammarion, avril 2022, 416 pages, 7,40 €

Œuvres, Louise Labé (par Didier Ayres)

 

Pouvoir l’amour

J’ai beaucoup réfléchi pour donner un titre à cette courte note de lecture, voulant souligner à la fois le pouvoir de l’amour, le pouvoir de l’écriture ou encore regarder de près comment on peut l’amour, comment aussi l’amour peut l’amour, s’engendre. Le poème est un lieu mixte, poreux. Il fixe l’amour et l’impossible de l’amour, il est pouvoir sans efficience mais fondamental. Il est ambigu.

Je précise quand même que je n’ai pas fait une lecture scientifique (car je n’ai pas de compétences particulières pour la poétesse, hormis celle de ma sensibilité). De plus, Louise Labé est particulièrement énigmatique. J’ai essayé de me tenir dans cette double contrainte : ne pas négliger historiquement que cette voix vient de la Renaissance, et en même temps d’en faire une lecture absolument moderne. Donc, regarder à la fois le lien avec les troubadours médiévaux et l’étude contemporaine de la passion comme humeur thymique.

Toujours est-il qu’il reste dans ces textes des moments de débordement, de souffrance, d’états de choc devant l’aimé, sidération parfois allant jusqu’à l’angoisse, jusqu’à notre angoisse contemporaine. Donc, même si la langue du XVIème présente des altérités, elle véhicule des notions qui traversent le temps, l’histoire et atteint à l’universel.

 

Tel n’aime point, qu’une Dame aimera :

Tel aime aussi, qui aimé ne sera :

Et entretient, néanmoins, sa puissance

Et sa rigueur d’une vaine espérance.

 

Ainsi, je n’hésiterai pas à en appeler à Jacques Lacan pour qui l’amour « c’est offrir à quelqu’un qui n’en veut pas quelque chose que l’on n’a pas ». Ou ailleurs, de façon plus grave, que « l’amour est un genre de suicide ». Néanmoins la poésie est considérée comme un lieu de l’invention de l’amour, choc du soc sur le sillon. L’écriture souligne la passion et lui donne son sens et sa raison d’être. Elle est puissance car elle est plurivoque et désigne autant la douceur de l’amour que sa plus haute aigreur. La passion acte l’emprise amoureuse et de tout temps.

 

(…)

Tu es tout seul, tout mon mal et mon bien :

Avec toi tout, et sans toi je n’ai rien :

Et n’ayant rien qui plaise à ma pensée,

De tout plaisir me trouve délaissée,

Et pour plaisir, ennui saisir me vient.

 

Ainsi, on plonge avec Louise Labé dans le champ de l’Éros et du Thanatos, ce dieu de la personnification de la mort au milieu de l’amour, dans le face-à-face brûlant et morbide de certains transports amoureux, souffrance, embrasement, éréthisme psychique.

 

Depuis qu’Amour cruel empoisonna

Premièrement de son feu ma poitrine,

Toujours brûlai de sa fureur divine,

Qui un seul jour mon cœur n’abandonna.

 

Le poème jugule l’impossible. La pulsion reste universelle. Le caractère nerveux de l’angoisse persiste. Le narcissisme touche chacune et chacun. Les effets de miroir du regard de l’aimé enflamment, déstabilisent, poussent à ne plus réfléchir avec la raison, mais avec le côté sombre du brasier du désir. Là peut-être les leçons à tirer de la lecture de cette poésie de l’inconnaissable, du très profond, de l’amour considéré comme le regard de Méduse.

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.