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Apprendre à prier à l’ère de la technique, Gonçalo M. Tavares (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 14 Mars 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue portugaise, Roman, Points

Apprendre à prier à l’ère de la technique (Aprender a rezar na Era da Técnica, 2007), Gonçalo M. Tavares, éd. Points, 2014, trad. portugais, Dominique Nédellec, 384 pages, 7,80 € . Ecrivain(s): Gonçalo M. Tavares Edition: Points

 

Lenz, le personnage central de ce roman, va vous stupéfier. Vous séduire, rarement. Vous dérouter parfois. Vous écœurer souvent. Vous effrayer toujours. Cet homme, médecin de son métier, n’envisage le monde qu’à travers les machines en œuvre – naturelles ou fabriquées – pour le faire fonctionner. Son rapport au monde et sa conception de l’univers et des hommes ne se mesure qu’à l’aune des technologies, dont il distingue deux catégories essentielles ; celles inhérentes au monde, consubstantielles à la vie même : l’univers, les forces physiques, le corps, la maladie, la mort ; celles issues de l’intelligence humaine : outils, machines, organisation de la Cité. Lenz pousse la foi matérialiste jusqu’au bout de sa logique et produit par ce fait une exclusion absolue des sentiments humains qu’il considère comme des parasites de l’ordre du monde, une perte de temps, et le moteur d’erreurs fondamentales dans le traitement des problèmes que l’homme – le médecin qu’il est, le politique qu’il va devenir – se doit de résoudre pour la survie du monde.

La Nature / Thoreau, Ralph Waldo Emerson (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 13 Mars 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, USA, Folio (Gallimard)

La Nature, Ralph Waldo Emerson, Folio Sagesses, janvier 2023, trad. anglais (USA), Xavier Eyma, 96 pages, 3,50 € Thoreau, Emerson, Rivages Poche, août 2022, trad. anglais (USA), Stéphane Thomas, 96 pages, 6 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Emerson en deux brefs ouvrages, originellement publiés à vingt-cinq années de distance : le premier en 1837, anonymement mais avec quel retentissement !, La Nature ; le second en 1862, pour célébrer son ami, disciple, comparse, Henri David Thoreau (1817-1862), et sobrement intitulé Thoreau. Le premier est fondateur : c’est le transcendantalisme qui trouve ici son origine, pour ne pas dire son programme ; le second est un hommage vibrant et amical à celui qui peut-être vécut de la façon la plus intransigeante et belle le transcendantalisme.

Cette doctrine, née dans la Nouvelle-Angleterre, est héritière tant de Kant que de Rousseau, de l’idéalisme que de la croyance en la bonté fondamentale, tant de la nature que de l’homme – et en la nécessaire communion entre les deux. Emerson écrit ainsi, quasi en ouverture de La Nature : « En présence de la nature, la joie envahit l’homme, en dépit même de ses chagrins réels. La nature dit : Il est ma créature ; et malgré ses chagrins intolérables, il sera heureux avec moi ».

Les passantes, Michèle Gazier (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 10 Mars 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Mercure de France

Les passantes, Michèle Gazier, Mercure de France, septembre 2020, 174 pages, 16,50 € Edition: Mercure de France

 

Le dernier roman de Michèle Gazier, Les passantes (Mercure de France, 2020), est tissé (le mot et sa métaphore apparaissent souvent sous la plume de l’auteur) de mystères. Et comme chez les romanciers de talent, leur élucidation progressive, loin d’assouvir notre curiosité, nous incite, l’ultime page refermée, à recommencer la lecture.

Mystère de madame Prat d’abord, qui ne se prénomme peut-être pas Marie mais Esther (mais alors, qui est Marie et que lui est-il arrivé ?) et de sa douleur hautaine, parfois méchante, de ses cauchemars, du drame qu’elle porte en elle depuis trente ans.

Mystère de ces infirmières de Montpellier, les narratrices successives, Madeleine, Léonor et Lilas, qui viennent soigner chaque jour madame Prat pour son diabète, et de la fascination que la vieille dame sans douceur exerce sur elles : quels accidents anciens, quelles souffrances enfouies ses silences et ses secrets réveillent-ils pour les conduire à s’attacher à elle bien plus qu’elles ne le devraient et, après sa brusque disparition, à enquêter sur elle ?

Cercles intérieurs, Thibault Biscarrat (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 09 Mars 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Cercles intérieurs, Thibault Biscarrat, Conspiration Éditions, janvier 2023, 70 pages, 9 € . Ecrivain(s): Thibault Biscarrat 

« Les violons incisent les chairs sublimes. La terre tremble. La canopée caresse les cieux. L’encre recouvre ta peau ; l’encre recouvre ton visage. Écris par-delà la marche du temps. Le Livre est une tombe éternelle, à jamais vibrante d’amour » (Cercles intérieurs).

« Tes lèvres sont comme un fil d’écarlate

et ta langue est jolie,

ta joue est comme une tranche de grenade

derrière ton voile » (Cantique des cantiques) (1)

« Mon aimée, te souviens-tu du Cantique des cantiques, du roi Salomon et de la Sulamite ? Viens et vis au plus près des versets, au plus près du poème que tu nourris de ton amour. Ta voix répand son parfum, tu brilles comme les étoiles » (Cercles intérieurs).

Le Festin sauvage, De la Minsk soviétique au Brooklyn d’aujourd’hui, le récit et les recettes de cuisine d’une famille juive athée, Boris Fishman (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 09 Mars 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Récits, Editions Noir sur Blanc

Le Festin sauvage, Boris Fishman, Les Éditions Noir sur Blanc, mars 2022, trad. anglais (USA) Stéphane Roques, 382 pages, 23 € Edition: Editions Noir sur Blanc

 

On est (ou on devient) ce que l’on mange, affirme la sagesse populaire. Encore faut-il qu’il y ait quelque chose à manger. La faim est une sensation qui renvoie l’être humain le plus éloigné de la nature à l’état primitif, animal. Nous ne parlons pas du petit creux qui se manifeste quelques heures après le repas précédent et dont on sait qu’il sera comblé un peu plus tard, fût-ce en mangeant de la mauvaise restauration collective. Non, nous parlons de la faim qui dure, depuis si longtemps qu’on ne sait plus à quand remonte le dernier repas digne de ce nom, ni quand aura lieu le prochain, d’une faim qui vous accompagne jour et nuit, même dans vos rêves. La vision d’épouvante qu’offrent les marchés traditionnels chinois, dont les étals présentent les animaux les plus improbables – pas seulement du pangolin – s’explique dans la mesure où la grande majorité de cette immense population croupit dans la misère la plus noire et qu’au bout d’une semaine sans manger, même le végan le plus résolu, le plus fanatique, se précipitera sur n’importe quel bout de viande.