La France Underground, 1965-1979, Free jazz et Rock pop, Le temps des utopies, Serge Loupien
La France Underground, 1965-1979, Free jazz et Rock pop, Le temps des utopies, mai 2018, 405 pages, 23 €
Ecrivain(s): Serge Loupien
On sait les bouleversements auxquels les sociétés occidentales ont dû faire face durant les années que cet ouvrage se propose de nous narrer : chacun a une idée liée à l’épicentre que fut mai 68, mais rares sont ceux qui peuvent embrasser la décennie concernée dans tous ses aspects culturels, liés à une sociologie singulière : les individus à l’œuvre pour cette « révolution » forment la première génération née après la guerre, génération qui va « inventer » la jeunesse en tant que classe sociale avec des caractéristiques qu’il faudra créer, un habitus qui devra englober un idiome, une musique, des habitudes vestimentaires, le tout à contrecourant d’une culture engluée dans un conformisme que tous ces « jeunes » veulent combattre à l’aide d’outils que sont la musique, les médias qui se développent et les modes vestimentaires, ce qu’on appelle une contre-culture.
Juin 1963, pour fêter le départ du Tour de France en musique, un concert est organisé qui va réunir Richard Anthony, Danyel Gérard, Frank Alamo, Les Chats Sauvages, Sylvie Vartan, Johnny Hallyday et quelques autres. Ce concert de la Place de la Nation sera le premier signe visible des changements qui interviennent dans la société. Quelques échauffourées ont bien émaillé le concert, mais ce sont surtout des comportements nouveaux qui se font jour, à peine perçus par les médias, totalement ignorés par les politiques qui n’ont rien vu venir. Ce furent selon l’auteur les signes avant-coureurs d’une contreculture qui se met progressivement en place.
Décembre 1965, Jazz Magazine apprend à ses lecteurs la présence de cinq musiciens dans le studio du Théâtre des Champs-Elysées qui enregistrèrent le premier disque de free jazz français : François Tusques au piano entouré de François Jeanneau au ténor, de Michel Portal à la clarinette, de Bernard Vitet à la trompette, du contrebassiste Bernard Guérin et du batteur Charles Saudrais. L’album s’intitule Free Jazz, titre exploité auparavant par un certain Ornette Coleman. Ce sont ces mêmes musiciens français qui vont se produire au Blues Jazz Museum de Paris, avec d’autres comme Colette Magny, Don Cherry… Différents lieux vont ainsi naître à Paris qui vont abriter ce mouvement musical d’une contreculture qui va participer aux bouleversements comportementaux de ces années.
Du côté du rock, de nombreuses expériences vont se succéder. Serge Loupien s’attarde cependant sur la présence d’un certain Jim Morrison, déclaré officiellement décédé le 3 juillet 1971 d’un arrêt cardiaque. Et ce n’est que le 9 juillet que son décès sera annoncé officiellement, soit deux jours après son enterrement en présence de cinq personnes. On devait sa présence dans la capitale à un procès qui le reconnut coupable de quatre chefs d’accusation : comportement indécent, exhibition indécente, outrage aux bonnes mœurs et ivresse publique. Le chanteur avait rejoint à Paris sa compagne Pamela Courson. C’est tout un microcosme rock qui va ainsi se créer à Paris, donnant à la capitale une réelle impulsion rock qui fera des émules. Les noms de Jagger, Hendrix, Marianne Faithfull sont cités par l’auteur, montrant ainsi l’attrait de Paris pour les rockers étrangers. Et ce sont des lieux comme le Rock’n Roll Circus qui vont accueillir toutes ces rocks stars.
Le rock français ne sera pas en reste. Une réelle ébullition va permettre des expériences parfois jubilatoires. Serge Loupien nous fait revivre les trajectoires de Zabu, de Christian Vander, de Magma bien sûr. Qui se souvient de la chanteuse Catherine Ribeiro accompagnée du groupe Alpes, voix magique au service de textes revendicatifs ? il y eut aussi des noms de groupes plutôt explicites comme Etron Fou, Barricade, autant de musiciens et de voix qui tissent et expriment la France Underground.
Enfin, les medias ne furent pas en reste et participèrent au déferlement d’idées, de comportement de la contreculture. Les titres, là encore, sont évocateurs et furent légion dans l’Hexagone, tout comme ce fut le cas aux USA et en Europe, avec parfois des titres provocateurs : Virus à Perpignan, l’Anti Merde à Nantes ou encore La Grande Gueule à Marseille. Des titres qui seront parfois manuscrits, ronéotypés, avec coquilles et fautes d’orthographe, mais « novateurs et vivants, à l’image de ces années-là ».
Guy Donikian
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