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L'averse, Fabienne Jacob

Ecrit par Matthieu Gosztola 25.05.13 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, Gallimard

L’averse, juin 2012, 136 pages, 12,50 €

Ecrivain(s): Fabienne Jacob Edition: Gallimard

L'averse, Fabienne Jacob

 

Ce roman est un exercice de style.

Pour Fabienne Jacob, il s’agit, d’un bout à l’autre de L’averse, la trame romanesque servant de prétexte à ce déploiement, de dire le désir, dans son mouvement, dans son élan irrépressible (bien que constamment empêché par les contraintes face auxquelles le réel et le social continument nous placent, – vrai mur).

Dans son élan, c’est-à-dire dans sa vérité intrinsèque, qui est d’être ontologiquement non socialisé, de communier avec le feu, l’eau, les parfums de mousse en automne dans les sous-bois, les coulées de lave qui rejoignent le crépitement – ineffable – et la vapeur de l’eau de mer.

Mais encore ne s’agit-il pas pour Jacob de dire tout à la fois le désir masculin et le désir féminin (car il est bien, pour elle, deux formes très distinctes de désir). Sa visée dans L’averse est de dire uniquement le désir masculin.

Si ce roman est un exercice de style, c’est parce que Fabienne Jacob a cherché à se mettre dans la peau d’un homme, troquant l’espace de l’écriture d’un livre son ipséité de femme pour une ipséité d’homme. Un homme au sang chaud, gardant sous sa peau la grande pulsation du cœur de l’Algérie : Tahar.

Jacob a manifestement cherché à faire affleurer la physionomie de cette ipséité d’homme, dans toute sa carnation. Physionomie éminemment et évidemment charnelle puisqu’il est question de désir, ce feu qui est à l’origine de tout et qui nous consume autant qu’il donne vie à la vie, peu à peu et à jamais.

Elle a cherché, d’un bout à l’autre de L’Averse, à se mettre dans la peau d’un homme dont elle retrace la fuite dans le désir, la fuite opérée grâce à une quête éperdue de vie, de sensations, d’émotions, la fuite mais aussi l’emprise dans la vie la plus profonde, la plus instinctive, la vie d’avant la naissance presque, quand rien du social ne dicte ses conditions à la respiration, aux battements du cœur, aux déplacements dans l’étroitesse de l’eau et dans l’infini de la chaleur du corps maternel. Quand rien ne s’interpose entre les gestes que fait le corps et une sauvagerie originelle qui est une autre façon d’être en étreinte avec les saisons, les grandes immensités, les falaises dans leur tranchant parfois tempéré par l’envol d’oiseaux, par la mélodie succincte de leurs couleurs.

En cela, du début à la fin de L’Averse, le désir inlassablement exprimé pour les femmes, pour le corps féminin, et actualisé dans des étreintes successives et toujours éblouies par la rencontre d’un corps, d’une chaleur, d’une moiteur, et toujours caressées par l’instant dans son grain, n’a rien à voir avec un seul désir sexuel : c’est le désir d’un homme qui cherche à retrouver, par-delà toutes les identités, tous les visages, toutes les époques, son enracinement dans la terre nue et infinie du temps, dans celle des saisons, de leur passage. Les saisons : le lent tournoiement de leur ronde, qui se fait jour jusque dans la texture de l’air, dans la consistance du chant des oiseaux.

Cette vérité du désir qui est la vérité d’une pulsion, mais d’une pulsion qui n’est pas seule pulsion puisqu’elle s’enracine dans le lointain d’une pulsion de vie qui dépasse chaque vie pour rejoindre la somme de toutes les vies, passées, présentes, à venir, puisqu’elle s’enracine dans l’énigme…, cette vérité du désir, c’est celle que cherche à montrer Jacob, et de criante manière :

« C’était à Paris, j’avais d’abord suivi ma femme dans la rue comme j’en avais suivi des dizaines d’autres. L’ondoiement de leur démarche devant moi me mettait des remous dans le sang. Je pensais comme une fille enlevait sa robe, je bandais pour l’énigme qu’elles portaient dessous. Le désir gonflait la maigre teneur de mes journées à Paris. La plupart du temps il se dénouait vite, laissant place à un petit matin blafard dans une chambre de hasard où les corps avaient fini par n’être plus que ce qu’ils sont. Loin de l’apparition de ces mêmes corps pour la première fois qui était chaque fois comme un incendie. Imprévisible, soudain et dévorant. […] Rares étaient les femmes qui gardaient leur péril entre les jambes, nulle robe enlevée, nulle aube ne parvenant à l’épuiser ».

Malheureusement, le livre de Jacob ne parvient jamais tout à fait à rendre le désir dans son élan, à le rendre à son élan, dans le cours voulu tempétueux des phrases, de leurs sonorités, de leur rythmique.

L’Averse sonne faux en définitive. Et c’est en cela que Jacob ne sort jamais de l’exercice de style. Elle cherche à restituer le grand embrasement du désir, la grande mélopée de l’infini qui se fait jour au plus profond du corps, avec des phrases qui se veulent rocailleuses, qui se veulent débridées, qui se veulent en osmose avec une sauvagerie qu’elles cherchent à restituer à tout prix, mais à chaque instant l’artifice surgit. À chaque instant sont visibles les procédés lexicaux et syntaxiques qui visent à ensauvager la langue, et qui ne font que la rendre un peu plus précieuse. Un peu plus guindée, quoique maquillée. Cette langue : une comtesse grimée en putain mais qui ne perd rien de ses bonnes manières. La langue dans L’Averse singe une sauvagerie dont elle s’éloigne un peu plus au fur et à mesure de son déploiement.

Des exemples sont nécessaires pour rendre notre propos immédiatement intelligible. Les voici, puisés quasiment au hasard :

« Je viens d’un peuple sans sourire, d’un peuple de colère, c’est de là que je suis sorti d’un con noir et velu, l’origine de mon monde ».

« Un jeune sang me bat aux tempes et au pouls. La toute-puissance de ma jeunesse propulse mon corps par les rues et les boulevards, pour un peu je me mettrais à bander. Depuis la nuit des temps la puissance fait bander les hommes. Rien ni personne ne peut quelque chose contre ma souveraineté ».

« C’est un Algérien qui foule le pavé de la ville. Les femmes n’osent plus me regarder, elles bichent toujours autant, mais j’ai l’air trop algérien cette fois, pas comme boulevard de Sébastopol où l’Algérie ne faisait que monter. Elles bichaient la montée de sève, les gazelles. Cette fois tout mon corps regorge de foutre, elles ont les chocottes les biches, cette fois c’en est trop, il n’y en a plus une seule pour se retourner, elles ne se retourneront pas. Aucune. Même si elles ont envie. Surtout si elles ont envie ».

« Voilà ce que ce pays a fait de moi, un faux cul, un eunuque. On m’a tout élimé les couilles et la colère ».

« Le Roi-Soleil, tu parles ! Un queutard ! »

« La nuit est un sortilège oui ou merde ».

Etc.

 

Matthieu Gosztola

 


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A propos de l'écrivain

Fabienne Jacob

 

Fabienne Jacob est née le 25 novembre 1959 à Créhange en Moselle. Elle vit et travaille aujourd’hui à Paris. Elle a publié un recueil de nouvelles et un roman.

 

A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com