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L’Année 2.0, Claude Minière (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres 16.01.23 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Tinbad

L’Année 2.0, Claude Minière, éd. Tinbad, 2022, 15€

Ecrivain(s): Claude Minière Edition: Tinbad

L’Année 2.0, Claude Minière (par Didier Ayres)

 

Étrangeté

J’ai aimé flotter dans ma lecture du dernier recueil de Claude Minière, car l’ambiguïté de mon sentiment m’a poussé à rédiger suffisamment de notes au portemine, prises de notes qui ont été la première étape vers ce livre étrange et original. De ce fait le sommaire indique lui-même le parcours engageant qu’il faut suivre pour aboutir à une idée maîtresse : de l’inconnu qui s’insinue dans de l’ordinaire.

Quatre chapitres du livre, donc : Mésopotamie, Calendrier, Torso, Penser à Orphée. Dès lors, l’on voit quelle route déroutante, si je puis dire, suit le lecteur au travers cette poésie pleine d’étonnement, voire d’ébahissement. Et si l’on côtoie de grands sujets (la mort présente parfois dans la partie calendrier, donc le temps, ou dans celle d’Orphée, voyage dans les enfers, donc la mythologie, par exemple) l’on reste dans les limites d’une langue complexe et fort intrigante.

Nous fouillons l’enfoui et l’enfui

quand ils traversent en barque.

Ils changeront les noms

les fleuves changent

comme aussi les monnaies et les images

Mais revenons à mon sentiment premier, à savoir l’impression d’une plongée dans un univers déconcertant, monde littéraire à part, écriture frôlant l’hermétisme (ici dans le sens fort du terme, et faisant référence à l’école hermétique italienne). L’arrière-monde du poème nous couvre de mystère, d’une énigme. Le liseur partage ce pain de l’étrangeté, comme s’il pouvait se tenir sur le seuil d’une certaine obscurité, d’un gouffre (la mort ? le temps ? la littérature ?). Nous ne sommes pas dans un lyrisme soi-disant poétique, mais dans une catégorie à elle seule, un vacillement de la compréhension.

Un est ressuscité

Nouveau calendrier

mais on cherche toujours dans les cultures

riz, maïs, henné

Il y a à mon sens, au centre du poème, une latence, quelque chose qui conduit peut-être à une mise à distance (peut-être celle dont on parle dans le théâtre brechtien), ici non pas politique mais esthétique, tout cela avec une maturité de propos très notable. Le poète n’est pas embarrassé, il vaque dans le langage pour y chercher de l’inédit, du nouveau, de l’absolument moderne. L’on y aborde très certainement de grands thèmes métaphysiques. Cette étrangeté assumée, selon moi, fait partie d’une démarche de recherche, d’une tentative pour échapper au premier sens venu, à la première explication, aux facilités de l’écriture ou de la pensée.  Une sorte de « recherche de la base ou du sommet », si je peux reprendre pour moi le titre du recueil de René Char.

Le poème ne s’embarrasse nullement de mots sans puissance, il suggère même ce qui manque, afin de laisser la voie libre à l’affluence de questions, à un programme poétique propre à faire fructifier la lecture, sans effets lyriques inappropriés, dans une sorte de confiance dans le secret du poète, et avec lui une espèce d’éblouissement confinant au trouble, à cette incertitude majeure, disons, de cette « ère du soupçon » telle que l’a décrite Nathalie Sarraute. Finissons avec le poète, dont voici deux extraits :

Ils ont raison car il y a la nuit

-       et moi ?

J’aime que soit prise une décision

une critique des incises

et sans hypocrisie supportée par la crise.

ou

Je pense à ceux qui meurent trop jeunes

on appelle penser la loi

de passer ce qui met au jour

j’ai connu l’amour les erreurs les horreurs les bonheurs

la petite flamme de l’âme

les immeubles en proie aux flammes

des missiles. Nos vigies sont incertaines


Didier Ayres


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A propos de l'écrivain

Claude Minière

 

Claude Minière est né à Paris le 25 octobre 1938, dans le 18e arrondissement. Poète et essayiste, il est l’auteur d’une quinzaine de livres de poésie, dont La mort des héros chez Carte Blanche éditions, Lucrèce chez Flammarion, Perfection chez Rouge Profond, La trame d’or chez Marie Delabre éditions, Le temps est un dieu dissipé, Hymnes, Je Hiéroglyphe, Grand Poème Prose chez Tarabuste, ainsi que de plusieurs essais dont Traité du scandale chez Rouge Profond, L’art en France (1960-1995) aux Nouvelles éditions françaises, Pound caractère chinois collection L’Infini chez Gallimard, Notes sur le départ chez Tarabuste, Le théâtre de verdure chez Marie Delabre éditions, et d’un journal Pall Mall 2002-2003 aux éditions Comp’Act.

 

A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.