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Et vous avez eu beau temps ?, Philippe Delerm

Ecrit par Sylvie Ferrando 27.03.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Seuil

Et vous avez eu beau temps ?, janvier 2018, 176 pages, 15 €

Edition: Seuil

Et vous avez eu beau temps ?, Philippe Delerm

 

A l’instar de La Bruyère et de ses Caractères, Philippe Delerm se livre ici à une critique fine et ironique des « petites phrases », ordinaires et perfides, qui émaillent nos conversations et fonctionnent comme des marqueurs de discours, entre intimité et vie sociale. Plus de soixante phrases sont ainsi analysées, parmi lesquelles le lecteur trouvera nécessairement quelques échos de ses propres habitudes de discours, ou des paroles régulièrement entendues dans l’espace social, qu’elles lui aient été ou non adressées.

Moraliste, linguiste, sociologue, ethnologue, entomologiste du langage, de la cognition et des interactions sociales, tel est Delerm dans ce nouvel opus où il décortique les travers et hypocrisies de la conversation.

En effet, ces petites phrases, qui sont supposées arrondir les angles des petits désaccords ou confrontations entre amis ou connaissances, distillent en fait un lent venin dans les rouages bien huilés des échanges verbaux, en instaurant des présupposés, de l’implicite et du non-dit faussement bienveillants. Ainsi, « Et vous avez eu beau temps ? » souligne la pointe d’envie et de cynisme qui perce sous l’intérêt porté aux vacances de l’interlocuteur. Delerm insiste sur la force du connecteur « Et » qui inverse la tendance, ce si mesquin « Et » en tête de réplique.

De la même façon, « C’est juste insupportable » met en relief l’adverbe « juste » dont la sémantique oscille « entre seulementà peine et très précisément », avec une préférence dans cette occurrence pour la dernière acception. Mais si l’on remplace l’adjectif « insupportable » par son antonyme « supportable », les deux autres sens l’emportent, révélant ainsi le seuil d’acceptabilité du caractère supportable de l’événement ou du concept.

Le contexte d’énonciation est également essentiel pour certains de ces petits aphorismes : « Ça finit quand ? » n’a pas la même force selon que le « ça », qui désigne une exposition temporaire dans un musée, est proche dans le temps et l’espace (ainsi que la date à laquelle elle se termine) ou bien s’étend dans les lointains horizons des obligations sociales et culturelles.

Fidèle à son goût de dissection de l’infime, Philippe Delerm se plaît et se complaît dans les nuances infinitésimales de la langue française, entre réflexion philosophique à la manière d’un Enthoven et analyse linguistique, dans le sillage d’Oswald Ducrot.

 

Sylvie Ferrando

 


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Rédactrice

Domaines de prédilection : littérature française, littérature anglo-saxonne, littérature étrangère

Genres : romans, romans noirs, nouvelles, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Grasset, Actes Sud, Rivages, Minuit, Albin Michel, Seuil

Après avoir travaillé une dizaine d'années dans l'édition de livres, Sylvie Ferrando a enseigné de la maternelle à l'université et a été responsable de formation pour les concours enseignants de lettres au CNED. Elle est aujourd'hui professeur de lettres au collège.

Passionnée de fiction, elle écrit des nouvelles et des romans, qu'elle publie depuis 2011.

Depuis 2015, elle est rédactrice à La Cause littéraire et, depuis 2016, membre du comité de lecture de la revue.

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