Le poids du papillon, Erri de Luca
Le poids du papillon, mai 2011, 9 euros 50.
Ecrivain(s): Erri de Luca Edition: GallimardIl faut s’asseoir au coin d’un feu imaginaire et écouter le merveilleux conteur qu’est Erri De Luca, ce livre mince comme un papillon ouvert dans les mains qui gardent le poids des images contenues dans les pages. Des pages, qui, quand elles sont tournées, restent présentes quelque part. La langue de De Luca est nue, rocailleuse parfois, un peu à l’image de l’homme qui aime les choses simples, le café, les aliments que l’on trempe dans la tasse et que l’on mange en s’ébouillantant presque, en écoutant le chant du silence, à l’ombre des arbres qui murmurent leur solitude. Ou le cœur pris dans le chant des grillons.
Ici la langue de ce grand écrivain atteint l’épure (grâce aussi au talent de Danièle Valin – cet ouvrage fut initialement publié en italien en 2009), suivant les fils d’un premier conte (« Le poids du papillon ») qui est presque une parabole (le livre est constitué de deux courts textes) et suivant l’harmonie d’un récit (« Visite à l’arbre ») non pas clôturant l’ouvrage mais le suspendant dans un silence plein de tous les mots qui se sont précipités jusque-là avec leur rudesse et leur simplicité chantante, un silence qui se découvre, presque à sa propre surprise, harmonique.
Chaque phrase est abrupte comme un pan de montagne, mais c’est pour laisser parler le silence. Car Erri De Luca a ce talent incroyable de faire confiance aux mots sachant bien qu’ils lui diront ce qu’il ne sait pas d’eux, s’il sait les approcher avec la lenteur précautionneuse d’un chasseur remontant la piste d’un gibier. Ces mots de rien qui sont des mots de tout, il les connaît dans l’intime : on imagine qu’il les garde dans sa poche comme des galets le matin quand il va chercher le bois en hiver pour la cheminée. Ces mots, il les sort parfois et les regarde briller à la lumière du soleil, les maniant avec légèreté et dans un choix qui demeure toujours saveur, se tenant à l’écart de la tentation de la somptuosité stylistique et des entrelacs savants de la phrase.
Le poids du papillon retrace la lutte entre l’homme (un braconnier), emmuré dans sa solitude, qui souffle dans son harmonica pour se défiler lorsqu’il s’agit pour lui de raconter son histoire, afin de ne pas avoir à dire les mauvaises choses qu’il a faites, et qui, sa route croisant celle d’une femme, retrouve l’éblouissement de l’attirance (« Les femmes font des gestes de coquillage, qui s’ouvre pour expulser comme pour attirer à l’intérieur »), suspendant sa maladresse à ses gestes et à ses mots usés qui inventent une arabesque lente à destination du silence. Rendant son cœur un peu plus nu, mais aussi un peu plus seul ?
Il y aura le combat entre un roi dans le règne animal (et lorsque De Luca sonde l’intériorité de ce dernier, on retrouve alors les plus belles pages de Kipling) et cet homme, à moins que ce ne soit l’inverse ?, un combat qui finira en étreinte dans la glace, étreinte comme signée par l’empreinte frêle d’un papillon, un papillon qui dans sa gracilité a volé devant l’homme juste avant qu’il ne meure, causant l’anéantissement de ses forces en lui apprenant la légèreté de l’air.
La légèreté de l’air, qui est comme la fragilité du présent, et son importance, puisqu’il nous entoure de toutes parts et qu’il faut se pencher pour le voir, c’est aussi de ça dont il est question dans « Visite à l’arbre ».
Les arbres. « Tous les étés, je monte rendre visite à l’un d’entre eux. Avant de partir, je monte à cheval sur son bras au-dessus du vide. L’air libre sur des centaines de mètres vient chatouiller mes pieds nus. Je l’embrasse et le remercie de sa durée ». C’est cela, Erri De Luca, des phrases qui semblent faites de silence, et qui pourtant sont suaves comme un bonbon, chuchotantes comme un ruisseau de montagne et fortes comme un morceau de saucisson à l’ail. Des phrases que vous transportez avec vous après la lecture alors que votre regard se lève vers les arbres, vers leurs branchages, et qui vous font autre. Un peu. « Les arbres des montagnes écrivent dans l’air des histoires qui se lisent quand on est allongé dessous ».
On marche alors, et on retient la leçon de ce grand homme : faire un avec la nature, faire que les énergies non pas s’arrêtent à soi mais qu’elles continuent en soi et que soi devienne un élément du puzzle de l’univers : « Il était en alliance avec le vent, son cœur battait, léger, se chargeant de l’énergie lancée par le ciel sur la terre ».
Matthieu Gosztola
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