Écrits sur l’art, Jean Cocteau (par Didier Ayres)
Écrits sur l’art, Jean Cocteau, Gallimard, Coll. Art et Artistes, avril 2022, 400 pages, 26 €
La vérité de l’art
Comme il m’a fallu reculer dans le temps pour lire les Écrits sur l’art de Jean Cocteau, et que j’avais impatience de le parcourir, j’ai lu presque d’un seul trait les 400 pages de l’ouvrage (illustré par des reproductions en couleur de tableaux, dessins, photographies…). Du reste, je lis beaucoup Cocteau, ou je le relis, depuis son théâtre, et j’ai l’impression qu’une nouvelle lecture de l’œuvre du poète pourrait correspondre à notre époque sèche, froide, pleine de lieux communs.
Dans ce recueil d’articles, j’ai rencontré une musique très fine, un style fluide et pas ennuyeux, une sorte de legato littéraire qui repousse toute fadeur, ornant l’expression de l’auteur, poursuivant un véritable questionnement sur les arts visuels, depuis le cinéma jusqu’à la mode vestimentaire. Chaque mot attendant le suivant, mais jamais acquis à des idées ou des images d’Épinal, mais toujours tendu vers la découverte et la surprise. Il n’y a rien à laisser dans les écrits esthétiques de l’auteur de La Machine infernale.
Par habitude, j’essaye de découvrir, dans les livres que je chronique, une formule, voire un mot pour qualifier l’ensemble de l’ouvrage. Ici, ce sont deux mots forts et complexes qui me sont venus à l’esprit : l’art, la vérité. Là est toute la démarche, me semble-t-il, de Cocteau qui tente de dégager les lois profondes de l’expression artistique. Ainsi, depuis les années 10 jusqu’à sa mort, le créateur d’Orphée ou de Bacchus, ne se répète pas, n’agit pas par narcissisme primaire en employant le « moi je », s’investit simplement et évolue dans ses goûts et non dans son style, lequel est déjà présent dans ses premiers écrits sur l’art.
Oui, décidément, il n’est qu’une vérité : l’artiste doit travailler pour lui et attendre, attendre patiemment que sa longueur d’onde devienne peut-être celle du plus grand nombre.
Cocteau cherche l’authenticité, mais pas le calque du réel ni le trivial. L’œuvre peinte doit réserver une forme de surprise capable d’étonnements, de réflexions, de doutes, d’ombres ou de certitudes. L’œuvre peut s’éloigner de la figure. Car sa véridicité semble immanente, et ainsi inexplicable, sinon à prêter à Cocteau la solide confiance à quoi convie son expression, ses textes, sa plume. L’auteur va l’amble, il s’approche au plus près, non pour décortiquer une image mais afin de lui prêter main forte, pour cerner là où elle devient intelligence, emprunter à l’œuvre visuelle une vérité supplémentaire qu’écrire accouche. Il fait office d’accoucheur d’une certaine objectivité, comme si le tableau ne reflétait ni ne pensait sa propre lumière. Cocteau fut ainsi capable de pointer, de déceler, de rendre la clarté et l’éclat d’une forme de maïeutique littéraire.
Le poète aime les signes. Il les considère comme des notes de partition, à la fois autant tendues sur une expérience concrète d’écrire que sur la liaison des mots et des images qui reste harmonieuse, mélodieuse, aqueuse, licoreuse. Son intelligence critique ne se confronte qu’à la très haute idée de l’alchimie de son étude. Tout pour l’art, pourrait-on dire. Il désigne, souligne les valeurs pour se concentrer sur les parties saillantes, celles qui font épine, épée, saillie. Il pointe le sublime parfois, suit l’inconscient du créateur, exhausse avec son style l’image forte ; il ne fait pas que décrire, il pointe le signe substantifique.
Cette phrase que j’écrivais jadis exprime à merveille le destin posthume des artistes que leur œuvre transcende et qui ne servent qu’à la mettre au monde.
Peu se résignent à cet humble rôle de main-d’œuvre.
Finissons avec ses paroles :
Cette perpétuelle recherche du vrai qui passe pour folle puisque tout le monde se contente d’une vague folie et traite de fous ceux qui s’approchent du vrai, on n’a qu’à vivre quelques minutes chez Picasso pour prendre contact avec elle.
Didier Ayres
- Vu: 1256