Dans les veines ce fleuve d’argent, Dario Franceschini (par Philippe Leuckx)
Dans les veines ce fleuve d’argent, Dario Franceschini, Gallimard, Folio, 2008, trad. italien Chantal Moiroud, 160 pages, 5,70 €
Edition: Gallimard
Paru en Italie en 2006, ce premier roman de l’écrivain, né à Ferrare en 1958, rend hommage à une région, à un fleuve, le Pô, à ses pêcheurs d’esturgeon, et avant tout à la force de l’amitié, qui n’a que faire du temps et des longues années pour poursuivre son fil, son courant.
Initiatique, ce roman l’est à plus d’un titre ; le personnage principal, Primo Bottardi, le grand âge venu, veut répondre enfin à la question qu’un ami d’enfance lui a posée, il y a plus de quarante ans.
Coûte que coûte, il faut retrouver cet ami et l’aventure, le long du fleuve peut commencer, et les rencontres, pittoresques, réalistes existentielles vont ouvrir les portes d’une Aventure, essentielle. Longer le fleuve à la recherche de l’ami perdu, Civolani, figure d’une photo de classe, devenu lui-même pêcheur du Pô. Il a un sobriquet, Capoccia. Les villages défilent, au rythme de la charrette d’Artioli, qui connaît la région et le fleuve comme ses poches : Cantarana, village de Primo ; Lenticchia, Paletto…
Toute une géographie du passé remonte aux lèvres des deux hommes, devenus confidents, le temps d’un simple voyage en charrette. Les souvenirs désolants des inondations récurrentes, les petits échos de la vie familière, les rumeurs sur l’un sur l’autre occupent le périple et déroulent pour le lecteur tout un pan de la culture fluviale. Le fleuve est non seulement ressource mais lieu de vie, auquel on tient comme à ses prunelles.
Le romancier a l’art de nous glisser dans ces eaux-là : la mémoire vive des gens, par tradition orale, familiale, engrangée de longue date, génération après génération ; les personnages hors du temps comme ce bateleur Ariodante qui va de fête en foire pour amuser les populations locales ; les conversations et les échanges à l’aune du fleuve, de son mouvement, de sa vie ; cette passeuse du fleuve sur le bac de son père, qui accueille notre antihéros à sa table, le temps que le fleuve se calme.
Primo a laissé Maria au village parce qu’il sentait le caractère impérieux de sa démarche. Primo a pris le pli de partir pour une mission qui ne peut être différée.
La langue du romancier, toute de réalisme et de poésie, décrit admirablement les lieux et les personnes :
Lenticchia était tout entière nichée sous la berge du fleuve. Vues de loin, les maisons semblaient épuisées (p.39).
Nora expliqua à Primo que depuis des années il vivait avec Bregola, dans une maison en amont, et que parfois il revenait la trouver, pour apporter un ou deux esturgeons tout juste pêchés (pp.56-57).
Une vraie poésie affleure (« la blessure fraîche de sa petite angoisse » ou « déranger sa solitude, fragile et patiente comme celle de tous les veufs de longue date » ou encore « mastiquer avec ses amis la saveur libre de la nuit ») et l’aventure crée en nous lecteur une émotion durable, celle d’avoir partagé les sentiments d’un vieil homme, qui a décidé de rejoindre son enfance et de lui donner sens.
Un roman magnifique, primé (Prix Bacchelli 2007).
Philippe Leuckx
Dario Franceschini est un romancier italien, né en 1958, à Ferrare. Il est aussi l’auteur de La folie soudaine d’Ignazio Rando.
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