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Chroniques Ecritures Dossiers

L'Autre

Ecrit par Kamel Daoud , le Dimanche, 04 Décembre 2011. , dans Chroniques Ecritures Dossiers, Ecriture, Nouvelles, La Une CED


L'Autre, j'en ressentais le creux, la trace creuse en moi, le besoin de me mouvoir vers lui, la calcination quand il me brûla ou l'endroit endolori par son arrachement. Brusquement, je me suis senti en déséquilibre, sans l'autre, un peu chancelant dans mon humanité, bref et sans direction dans l'espace quand ce n'est pas une direction vers un visage, tournant dans l'affolement ou en orbite autour d'une énigme. L'Autre n'était pas ma moitié mais mon véritable moi. J'y allais dans toutes les directions, j'y venais, j'en revenais. Tout s'expliquait par mes gestes vers ce centre inachevé quand il n'est pas totalement voulu. Le désir, l'offrande faite au ciel, le sacrifice, l'invention du feu pour deux mains et pas pour une seule, la sexualité qui en était le cri et l'art qui en est le soupir, ou le sens de toutes les rivières du monde qui en sont la confession, la narration, le récit qui vient et s'en va.


Tout était supposition de l'autre, trace de son pas, son bruit dans la nuit ou le jour pas encore déplié du futur. L'autre était mariage, noces, brûlure, feu, flamme, pollen, approches et pattes en fourrure de l'animal prudent qui approche pendant que toute la forêt le regarde avec bienveillance.

Comment peut-on écrire dans une langue autre que celle de notre maman ?

Ecrit par Amin Zaoui , le Lundi, 28 Novembre 2011. , dans Chroniques Ecritures Dossiers, Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

Chroniques "Souffles" in "Liberté"

Pourquoi est-ce que j’imagine l’Algérie au pluriel : Algéries ? Tout simplement parce qu’elle est capable de parler les langues des oiseaux. Peut-être, parce qu’elle est le pays qui a donné le premier romancier dans l’histoire de la littérature universelle, le Berbère Apulée de Madaure (né vers 125), auteur de L’âne d’or. Parce qu’elle est le pays qui a enfanté saint Augustin (354-430), fils de Souk Ahras (Taghaste) auteur de La Cité de Dieu. Et peut-être parce qu’elle est aussi la terre qui a engendré Si Mohand Ou M’hand (1840-1905), “Amokrane Achchouaâra”, le prince des poètes, Rimbaud Imazighen. Et parce qu’elle est, également, le sol qui a enfanté Kateb Yacine, auteur de Nedjma. Parce que c’est aussi le pays qui a donné le poète Moufdi Zakaria, poète de Qassaman, l’hymne national, décédé en exil chassé par le pouvoir de Boumediene. De tamazight au latin, de l’arabe au français aux dialectes algériens, des mémoires, des textes et des imaginaires consciemment ou inconsciemment traversent l’Algérie puis s’installent dans l’écriture d’aujourd’hui. Dans toutes ces langues des oiseaux, nous sommes propriétaires, locataires, voyageurs, casseurs et joueurs.

La mère Michel a lu (4) Faim de vie, Marie-Florence Ehret

Ecrit par Michel Host , le Vendredi, 25 Novembre 2011. , dans Chroniques Ecritures Dossiers, Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

Faim de vie, de Marie-Florence Ehret. Roman, 227 pp., 2011. Oscar éditeur (www.oskarediteur.com), prix non indiqué.

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N’ayant jamais connu l’état de préadolescente, la Mère Michel ne se lance pas si souvent dans la lecture de romans pour la jeunesse, moins encore dans ceux qui mettent en scène des jeunes filles de 15 à 18 ans, à moins qu’une annonce, en première de couverture, lui en donne l’envie soudaine. Celle-ci par exemple : « En mai 68, les voitures brûlent et les cœurs aussi… » ! Les voitures, admettons… mais quel gâchis ! La Mère Michel aime les bolides sur roues et n’admet pas qu’on les détruise pour un oui pour un non. Pour les cœurs, ma foi, il y a d’excellents cardiologues… bref, lire ce que l’on peut écrire pour la jeunesse d’aujourd’hui à propos de ce fabuleux moment de pantomime révolutionnaire de mai 68 qui, pour appartenir à la préhistoire, n’en a pas moins laissé des traces profondes dans notre vie sociale et nos mœurs, voilà qui peut éveiller un peu plus que de l’intérêt, une vraie curiosité, le goût de savoir…

Eclair de chaleur

Ecrit par Philippe Leven , le Lundi, 14 Novembre 2011. , dans Chroniques Ecritures Dossiers, Ecriture, Nouvelles, La Une CED

Micro-nouvelle noire

 

Elle se retourna pour la première fois au bout du couloir. Aussitôt les deux hommes qui la suivaient baissèrent la tête d’un même mouvement. Ce vieux sentiment tiède et familier de déjà-vu l’assaillit brutalement, escorté de son flot brûlant de panique et de plaisir. Comme un jet violent de lumière rouge et de cris sur un enlacement odieux. Elle serra de ses doigts crispés le cuir de son sac à main, pendu à son épaule. Il ne fallait pas qu’elle s’affole, qu’elle laisse déferler en elle le flux des images, le poids de la mémoire, les spasmes de la hâte : ne rien laisser pénétrer qui ferait vaciller sa maîtrise d’une scène déjà vécue, mille fois rêvée, partie de l’ordre de son monde secret. Les vibrations légères du couloir roulant glissèrent le long de ses talons-aiguilles, sur la texture électrique de ses bas et comme une vrille jusque dans ses reins et son dos. Elle entendait les pas derrière elle, ponctuant le heurt brutal de ses tempes en feu et elle tenta une fois, une seule, de refouler au fond de ses prismes fous le récit des scènes qui allaient suivre. Mais elle en avait une perception trop aiguë et, peu à peu, les images s’installèrent, odieuses et intenses, dans leur étrange familiarité.

La mère Michel a lu (3) - Jean Maison

Ecrit par Michel Host , le Dimanche, 06 Novembre 2011. , dans Chroniques Ecritures Dossiers, Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

(Photo Yves Marty)

 

De Jean Maison, poète, trois recueils :


Terrasses stoïques, éd. Farrago, 2001, 43 pp., 70 ff

Araire, éd. Rougerie, 2009, 57 pp, 11 €

Le premier jour de la semaine, éd. Ad Solem, 67 pp., 19 €


Je suis chercheur de pierres. J’excave la roche pour lui rafler ses émeraudes, ses diamants. Et passe le sable du temps au tamis des mots. Je lis les poètes. Non : « des » poètes. Ils sont trop peut-être, car beaucoup sont des perroquets qui s’ignorent, croient inventer, et même « créer », comme ils disent en levant le menton. C’est regrettable, les effets sont nocifs. Entre autres ceux-ci, évidents, que la poésie est une monnaie dévaluée pour la plupart des lecteurs de ce temps, que les poètes eux-mêmes se lisent peu entre eux.