Ces choses que nous n'avons pas vues venir, Steven Amsterdam (par Yann Suty)
Ces choses que nous n’avons pas vues venir – 248 pages, 20 €
Ecrivain(s): Steven Amsterdam Edition: Albin Michel
Ces choses que nous n’avons pas vues venir. Le titre du premier roman du new-yorkais établi à Melbourne, Steven Amsterdam, annonce la couleur. Nous ne verrons effectivement pas venir les « choses » dont il est question, mais nous pourrons simplement nous mesurer à leurs conséquences. Et comment les survivants tentent de s’adapter à une nouvelle donne, à un monde complètement bouleversé.
Dans un pays qui pourrait être les Etats-Unis, ces « choses » sont : un climat qui se détériore, des terres inondées, un chaos politique et une restriction des libertés individuelles, une épidémie provoquée par un mystérieux virus…
Le récit est mené par blocs temporels. Un chapitre se clôt et un autre s’ouvre plusieurs années plus tard, alors que le monde a une nouvelle fois été bouleversé par une de ces « choses ». La coupure est abrupte et elle l’est d’autant plus que Steven Amsterdam ne nous explique jamais ce qui s’est passé entre deux périodes. En distillant des petits détails ici et là, il nous permet de cerner à peu près la situation, mais il préfère suggérer plutôt que de se lancer dans une explication complète. C’est au lecteur de faire un effort d’imagination.
Le procédé est parfois déstabilisant.
On pourrait croire qu’il s’agit d’un recueil de nouvelles, dont chaque chapitre s’intitulerait « Scénario après une nouvelle catastrophe », mais toutes ces séquences mettent le même narrateur. Suivi depuis sa plus tendre enfance, il devient témoin de la désintégration successive du, ou plutôt des mondes, dans lequel il vit au fur et à mesure.
C’est un être fondamentalement solitaire. Ses semblables ne sont le plus souvent que des moyens pour parvenir à survivre. Les autres personnages ne font que passer dans sa vie et ne vivent pas plus d’un chapitre. Jamais on ne sait ce qu’ils deviennent, comme s’il n’y avait pas de futur pour eux. Seule exception notable, Margo, la femme qu’il aime, comme si l’amour était le seul repère qui reste quand le monde vacille.
Ces choses que nous n’avons pas vues venir est un roman d’anticipation. Mais ici, pas de robots et de soucoupes volantes ou de voyage dans le temps. Steven Amsterdam chasse plutôt sur les terres de Ballard en extrapolant, à partir d’éléments du présent, ce qui pourrait se dérouler dans un avenir relativement proche. Tout est plausible et pourrait être bientôt notre quotidien… et l’est déjà pour certains. La catastrophe japonaise est une illustration plus que réaliste.
Sa matière subtile de présenter les choses, par petites touches, en restant toujours dans la suggestion plutôt que dans l’explicatif, rejoint le Kazuro Isighuro d’Auprès de moi toujours. En refusant le spectaculaire, Steven Amsterdam peut mieux se concentrer sur l’humain. Un humain qui doit s’adapter sans cesse à un environnement changeant, à de nouvelles règles du jeu. Car ce qui intéresse Steven Amsterdam, ce n’est pas la catastrophe en tant que telle, mais ce qui se passe après et comment les survivants vont s’adapter au nouveau monde qu’elle a créé, quelles stratégies ils vont mettre en place pour tirer leur épingle du jeu.
On regrettera seulement que la fin ne soit peut-être pas à la hauteur du reste du récit. Lui qui montait crescendo ne trouve pas le souffle épique qui l’aurait fait véritablement changer de dimension.
Yann Suty
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