Aucune raison d’aller ailleurs, Héloïse Simon
Aucune raison d’aller ailleurs, juin 2015, 230 pages, 14 €
Ecrivain(s): Héloïse Simon Edition: Paul & MikeOn est toujours ailleurs, même quand on est ici, toujours ici, même quand on est ailleurs. Il y a, dans les douze nouvelles que contient le présent recueil, une dialectique à l’œuvre du loin et du près, de là où on est et de là où on va, un appel constant à la fuite ou au retour, des choses qui nous éloignent et d’autres qui nous retiennent. On trouve ceux qui attendent, ceux qui viennent de loin ou encore ceux « qui arrivent à bon port ». On traverse les continents, les états, les états d’âme, on assiste à des rencontres, des séparations, des retrouvailles…
« Y’a aucune raison d’aller ailleurs. Y’a jamais aucune raison d’aller ailleurs ». Cette phrase, qui donne au livre son titre, est extraite de la première nouvelle, Sélénite. C’est Ed Bullard qui la prononce, cet agriculteur du Midwest que le narrateur est venu rencontrer en vue d’un reportage pour un magazine français. Ed n’a jamais rien connu d’autre que du plat, que les carrés et rectangles d’orge, de maïs et d’avoine qui l’entourent depuis sa naissance. Et pourtant, rien d’autre – à part la Lune « avec ses volcans, ses mers ses montagnes » – ne lui fait envie. Ed, inculte, ayant quitté à 12 ans l’école se fait savant et poète dès qu’il évoque notre satellite. Mais un savant du 19e siècle, puisqu’il a tout appris d’un livre datant de 1880, alors que personne n’avait encore mis un pied sur la Lune. Lui, d’ailleurs, ne le sait pas qu’un homme y a marché… Alors même qu’il habite la petite ville d’Armstrong.
Le personnage principal de Engeance n’ira elle non plus « nulle part, n’ayant plus de raison de partir ». Cette jeune femme vient de perdre l’enfant qu’elle attendait et, avec lui, son compagnon, le père qui ne supporte pas ce qui vient de se passer. Entourée d’objets en forme de vache que lui ont offerts ses proches et sa famille depuis plusieurs années, elle rêve, le regard vide et un peu bovin, de devenir enfin mère…
Dans Journal que je n’ai pas tenu, le narrateur vient rendre visite à ses parents qui vivent en France. Il ne les a pas vus depuis plusieurs mois, s’étant installé au Chili. Il leur fait l’éloge du pays, les rassure sur la situation politique alors même qu’un coup d’état s’y déroule. N’osant leur avouer la réalité de ce qui se joue, il leur annonce son départ pour Santiago. En fait, il s’installe à 15 minutes de chez ses parents, le consulat refusant de lui délivrer les papiers à plusieurs reprises. A Paris, il travaille dans un organisme public chargé de trier les archives vidéo en relation avec le Chili. Il rend visite à ses parents tous les deux ou trois ans, leur racontant la vie chilienne dont il prend connaissance par l’intermédiaire des archives.
Revenu des îles évoque un autre type de voyage, celui qu’entreprend le père du narrateur au pays d’Alzheimer. « Bora-Bora, c’est là qu’habite mon père. L’agence de voyages qui l’a amené là-bas s’appelle Alzheimer. Le problème avec cette agence, c’est qu’il n’y a pas de retour, juste un aller simple ». Un texte émouvant.
Héloïse Simon nous entraîne dans un joli périple littéraire dont on aura ici un aperçu. Ces vies, ces voyages sont souvent ordinaires, parfois cocasses. Tous sont réussis et ouvrent les portes d’un ailleurs, si loin, si près…
Arnaud Genon
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