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Ariel, Sylvia Plath

Ecrit par Matthieu Gosztola 11.10.11 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Poésie, Gallimard

Ariel. 113 p. Poésie / Gallimard 5 € (réédition Gallimard Du monde entier, 2006).

Ecrivain(s): Sylvia PLATH Edition: Gallimard

Ariel, Sylvia Plath

La mort pour mettre fin à la vie du désastre.


Sylvia Plath, Ariel, présentation et traduction de Valérie Rouzeau, Gallimard, Collection Poésie / Gallimard, 2009, 5 euros.

Ariel paraît en 1965, « deux ans après que Sylvia Plath s’était donné la mort à Londres, par l’un de hivers les plus froids qu’ait connu l’Angleterre ». Ces poèmes ont été écrits pour la plupart « entre octobre 1962 (après le départ de Ted Hughes) et février 1963 – les derniers écrit sont datés du 5 février, il s’agit des poèmes « Balloons » (« Ballons ») et « Edge » (« Extrémité »). Sylvia est morte le 11 », comme le note Valérie Rouzeau dans son avant-propos. Il faut saluer une fois encore, à l’occasion de cette réédition en poche, après que l’a fait Jean Bogdelin au sein de La Cause littéraire, sa traduction, libre et inventive autant que précise, qui permet aussi de mesurer à quel point les trouvailles poétiques de Plath ont enrichi son écriture non pas de traductrice mais de poétesse : Pas revoir bien sûr, mais surtout Quand je me deux (Le Temps qu’il fait, 2009), ou encore Va où (Le Temps qu’il fait, 2002).

Les poèmes de Plath sont tournés vers cette asymptote que fait l’âme avec l’infini qu’est l’amour :

« Amour, amour, ma saison » (« Messagers »).

Mais ils portent en eux toute l’imminence du désastre :

« Mes os renferment un silence, les champs font / Au loin mon cœur fondre. // Ils menacent / De me conduire à un ciel / Sans étoiles ni père, une eau noire ». (« Moutons dans la brume »).

Tout se fait noir au-dedans, quotidien de l’abîme qui épouse chaque part de soi :

« Je suis terrorisée par cette chose obscure / Qui sommeille en moi ; / Tout le jour je devine son manège, je sens sa douceur maligne. // Des nuages passent et se volatilisent. / Sont-ils les visages de l’amour, ces disparus livides ? Est-ce pourquoi j’ai le cœur bouleversé ? » (« La voix dans l’orme »).

Mais la page réclame le poème, qui veut s’écrire :

« C’est nu comme du papier pour l’instant mais attendez » (« Le candidat »).

Car toujours, avec la poésie, il s’agit de donner corps à la détresse mais aussi de rompre la fatalité par quoi, imaginairement, « [j]’ai abandonné mon nom et mes vêtements aux infirmières, / Mon histoire à l’anesthésiste, mon corps aux chirurgiens » (« Tulipes »).

Si l’approche et l’appel de la mort sont criants, ils portent en eux une inénarrable douceur, ce qui poussera Sylvia Plath à se tourner vers le geste patient de châle peint frôlant les cheveux et les tempes jusque dans l’atroce puisqu’elle ouvrira le gaz de la gazinière après avoir calfeutré la porte de la cuisine et préparé des biscuits et du lait pour ses enfants qu’elle aura posés sur la table, pendant qu’ils dormiront à l’étage supérieur.

« Sombrer puis disparaître, et l’eau m’a submergée. / Me voilà nonne maintenant, je n’ai jamais été si pure. // Je  n’avais pas besoin de fleurs, je voulais seulement / Rester couchée les paumes offertes, être complètement vide. // C’est une telle liberté, tu n’as pas idée d’une liberté pareille » (« Tulipes »).

« Et moi, je quitte cette peau / De vieux pansements, d’ennuis, ces vieux visages // Pour te rejoindre depuis la voiture noire du Léthé, / Aussi pure qu’un bébé » (« Arriver »).

Mais, en définitive, mourir permet de donner fin à la mort, qui se faisait jour tout au long de la vie, ruinant chaque geste en le ceignant de brume, de sanglantes braises noires :

« Elle a l’habitude de ce genre de chose. / Et ses ténèbres craquent, et ses ténèbres durent. » (« Extrémité »).

Aussi pour Plath mourir est-ce « Arriver ».


Matthieu Gosztola


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A propos de l'écrivain

Sylvia PLATH

Sylvia Plath, née le 27 octobre 1932 à Jamaica Plain, dans la banlieue de Boston, et morte le 11 février 1963 à Londres, est un écrivain américain ayant produit essentiellement des poèmes, mais aussi un roman, des nouvelles, des livres pour enfants et des essais. Si elle est surtout connue en tant que poète, elle tire également sa notoriété de The Bell Jar (en français, La Cloche de détresse), roman d'inspiration autobiographique qui décrit en détail les circonstances de sa première dépression, au début de sa vie d'adulte.

Depuis son suicide en 1963, Sylvia Plath est devenue une figure emblématique dans les pays anglo-saxons, les féministes voyant dans son œuvre l'archétype du génie féminin écrasé par une société dominée par les hommes, les autres voyant en elle une icône dont la poésie, en grande partie publiée après sa mort, fascine comme la bouleversante chronique d'un suicide annoncé.

 

(Source Wikipédia)

A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com