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Amérique Latine

Le soleil sur ma tête, Geovani Martins (par Cathy Garcia)

Ecrit par Cathy Garcia , le Mercredi, 15 Janvier 2020. , dans Amérique Latine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Le soleil sur ma tête, Geovani Martins, octobre 2019, trad. portugais (Brésil) Matthieu Dosse, 135 p. 15 € Edition: Gallimard

« – C’est parce-que le monde entier est foncedé, frère. Comme si tu ne savais pas ça. Je te le répète : une semaine sans came et tout Rio de Janeiro s’arrête. Plus de médecins, plus de chauffeurs de bus, plus d’avocats, plus de policiers, plus d’éboueurs, plus rien. Tout le monde va devenir ouf à cause de l’abstinence. Cocaïne, Rivotril, LSD, ecstasy, crack, cannabis, antidouleurs, peu importe, frère. La came c’est le combustible de la ville.

– La came et la peur, j’ai ajouté ».

Ceci n’est pas un livre qui parle des favelas de Rio, ce sont les favelas qui y prennent la parole et donnent à voir une autre image, bien plus réelle, de cette ville qui fait rêver avec sa façade de carte postale, ses plages faussement paradisiaques, son carnaval à paillettes, sa samba perpétuelle. Rio de Janeiro a un autre visage, un visage balafré par la violence, fille bâtarde de l’exclusion sociale, un visage recouvert de la poussière humaine déposée par les exodes ruraux, populations nordestines et d’ailleurs, fuyant l’aridité extrême de leur existence et dont les espoirs s’échouent dans les quartiers nord et les bidonvilles nommés ici favelas, en mémoire d’une fleur qui pousse – poussait ? – sur les mornes abrupts qui dominent la ville.

Pedro Páramo, Juan Rulfo (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 21 Novembre 2019. , dans Amérique Latine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

Pedro Páramo (1955), trad. espagnol (Mexique) Gabriel Iaculli, 184 pages, 7,90 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Comme un ruban tressé, Juan Rulfo déroule une histoire à plusieurs voix venues des vivants et des morts, du passé et du présent, du réel et du fantasme. La virtuosité de ce roman est époustouflante : la complexité du récit est rendue d’une simplicité biblique par la maîtrise de Rulfo, sa capacité rare à rendre infiniment fluide une lecture qui joue sur les temps, les locuteurs, les lieux.

Peu importe qu’on nous annonce la mort de Pedro Páramo au début du récit, quand son fils oublié, Juan, arrive au village de Cómala. C’est bien lui le héros du roman, qui écrase de sa présence tyrannique son monde, morts et vivants, dans un même mépris, une même violence, une même cruauté. Il est la figure latine américaine du tyran local, sorte de seigneur qui règne par la richesse et la brutalité. Il est le frère littéraire des micro-dictateurs de Gabriel Garcia Marquez, Mario Vargas-Llosa, Miguel Ángel Asturias et bien d’autres. Sa haine de vivre, sa vision amère du monde est alimentée par le souvenir obsédant de la seule femme qu’il a vraiment aimée, Susana San Juan. Sa mort, décortiquée dans le moindre moment de l’agonie, hante Pedro, ses jours et ses nuits, ses crimes et ses délires.

Des hommes en noir, Santiago Gamboa (par Cathy Garcia)

Ecrit par Cathy Garcia , le Mercredi, 12 Juin 2019. , dans Amérique Latine, Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, Roman, Métailié

Des hommes en noir, avril 2019, trad. espagnol (Colombie) François Gaudry, 368 pages, 21 € . Ecrivain(s): Santiago Gamboa Edition: Métailié

La réalité est une forêt sauvage, ses yeux de serpent brillent dans l’obscurité avant qu’elle attaque sa proie. Mais le plus dangereux au monde est l’amour qui s’assèche. Celui qui n’a pas pu sortir du tronc de l’arbre, qui s’est enroulé sur lui-même et a mordu son propre cœur.

 

Voilà un polar à la fois subtil et énergique, une enquête captivante dans une Colombie qui soigne tant bien que mal ses blessures, menée par des personnages plutôt atypiques : Julieta Lezama, quarante ans, qui vit à Bogotá, « journaliste indépendante aguerrie » et reconnue, mère de deux ados, en cours de divorce, supporte mal son corps ; libido cependant bien active, elle compense par du sexe alcoolisé. Son péché pas mignon justement : l’alcool, avec un goût prononcé pour le gin tonic en dose très déraisonnable. Et sinon elle se passionne pour « la mort violente que des êtres humains, un beau jour, décident d’infliger à d’autres, pour tous les motifs possibles ». La journaliste pour son travail s’appuie sur l’aide de Joana Triviño, originaire des quartiers pauvres de Cali, secrétaire assistante multifonctions et entre autres « le maniement de tout types d’armes, des plus petites aux moins conventionnelles car elle a passé douze ans dans le bloc occidental des FARC ».

Eltonsbrody, Edgar Mittelholzer (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 03 Mai 2019. , dans Amérique Latine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Editions du Typhon

Eltonsbrody, février 2019, trad. anglais (Guyana) Benjamin Kuntzer, 250 pages, 20 € . Ecrivain(s): Edgar Mittelholzer Edition: Editions du Typhon

 

Eltonsbrody est le nom d’une maison – une grande maison située à l’écart de tout et de tous sur l’île de la Barbade, dans les Caraïbes.

« Staden, où se dresse Eltonsbrody, considéré comme une “colline”, est en réalité une sorte de plateau dont le sommet relativement égal plonge en ondulations délicates vers le sud et l’ouest. Côté mer, il s’effondre plutôt abruptement en saillies et escarpements déserts (…). Eltonsbrody (…) était une bâtisse de deux étages, aux murs de calcaire gris décrépits. Elle avait été érigée, à en croire la date gravée au-dessus de la porte d’entrée, en 1887. En dépit de son isolement au cœur de vastes étendues cernées de rares champs de canne côté terre, et de la descente escarpée côté mer, Eltonsbrody, telle que je l’avais vue pour la première fois en ce jeudi saint de l’année 1958, ne paraissait pas menaçante ».

Deuils, Eduardo Halfon (Par Mona)

Ecrit par Mona , le Vendredi, 11 Janvier 2019. , dans Amérique Latine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La Table Ronde

Deuils, avril 2018, trad. espagnol David Fauquemberg, 160 pages, 15,80 € . Ecrivain(s): Eduardo Halfon Edition: La Table Ronde

 

Avec les mots simples et bruts du narrateur, on entre dans le vif du sujet dès l’ouverture : « Il s’appelait Salomon. Il est mort à l’âge de cinq ans, noyé dans le lac d’Amatitlàn. C’est ce qu’on me racontait, enfant, au Guatemala ».

Cette mort, dans la famille, il fallait la taire, ne jamais poser de questions, d’où la « blessure à l’intérieur » dont souffre le narrateur (« Il y avait là, dedans, une chose qui était en train de me tuer »). Hanté par le fantôme de l’enfant mort, le narrateur, qui vit aux USA, part au Guatemala en quête de la vérité sur la mort mystérieuse de cet oncle qu’il n’a jamais connu.

Le récit s’organise à partir de la question dramatique qu’il se posait enfant : la photo au nom de Salomon trouvée dans un grenier, qui montre un enfant dans la neige, à New-York, en 1940, est-elle celle du petit Salomon noyé dans le lac ?