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Zone franche, Jacques Ancet (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 29.08.22 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Zone franche, Jacques Ancet, éditions Tarabuste, avril 2022, 216 pages, 14 €

Zone franche, Jacques Ancet (par Didier Ayres)

 

Dénuder

Ici la cendre du poème – sa combustion tardive, son altération intérieure – se manifeste par des effets graphiques, des décrochés, des blancs au milieu du vers, avec pas ou peu de ponctuation, sans aucune majuscule et parfois des occurrences en langue étrangère. Le poème va comme en une zone non atteinte, indépassable, voire hors d’atteinte. La poésie ne vaut que pour ce qu’elle a d’essentiel. Le rêve du poète est-il peut-être celui de récréer la langue entièrement, sans poids, toujours nouvelle, profonde et ductile ? Tel est là le projet de ce recueil, à mon sens. J’y distingue la cendre de la cendre (comme le signifie Jacques Derrida).

J’ai dressé dans mes notes une petite liste d’épithètes qui pourraient correspondre à mon impression première de lecteur : effacer, retirer, ôter, enlever et enfin, dénuder. Cette prosodie, où la quantité de vide se calcule grâce à la quantité de tentatives pour créer un langage personnel, se réduit à des cercles de vocabulaire stricts, voire pauvres.

Parfois il suffit d’une couleur, soit un bleu universel, un peu de vert non défini, du noir ou du blanc, des tons génériques. Jacques Ancet semble se concentrer sur la place des images, pour une tâche plus haute, celle du poète. Est-ce là, comme le définissait Meschonnic, « ne pas poétiser », donc revenir à la langue pure ? Je crois que cette allusion n’est pas inutile. De ce fait, il n’y a pas de lyrisme gratuit, juste l’os – travail de la simplicité le plus difficile.

 

marcher dans la lumière

jusqu’à ne plus rien voir

oublier jusqu’à son ombre

cassée

sur

chaque pierre

sans mots

être enfin nu

 

L’entreprise conceptuelle de ce texte revient à chercher une pierre, une fleur saxifrage, le beau et sa profondeur sans afféterie, détruire peut-être l’attente, jouer sur l’infini de ces portes ouvertes sur le néant – comme le définit Heidegger dans son lien avec l’ennui métaphysique ou l’angoisse. Poèmes anagogiques, et par cela, composés de tons dont l’arcane est spirituel, d’une forme de prière non pas incandescente mais crue, nette, sans appel. Leur visée ? Une illumination sans ornement. Pas de complaisance avec soi. Être. Dénuder le langage pour lui fournir sa violence, sa brutalité.

 

nu

mot à mot

tisser un vêtement

de phrases où se cacher

entre les feuilles jaunes

les branches blanches

le silence

 

Ou plus loin

 

les mots se taisent

bribes

lisse

duvet les doigts

caressent encore

ce qui n’est déjà

plus

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.