Vies silencieuses, Daniel Kay (par Didier Ayres)
Vies silencieuses, Daniel Kay, Gallimard, mai 2019, 128 pages, 14,50 €
Poésie de la couleur
Ce que je retiens des Vies silencieuses de Daniel Kay, c’est surtout la plasticité des images, lesquelles illustrent souvent l’univers de la peinture. Oui, c’est une apologie de la peinture italienne notamment, à quoi se livre le poète morlaisien. J’ai retenu davantage les textes en rapport avec la peinture ténébriste en fait, laquelle révèle le génie esthétique des grandes figures artistiques de la Haute Renaissance. Du reste la peinture est un art suprême du silence, et c’est sans doute là où le titre un peu énigmatique du recueil trouve son sens. C’est ce silence qui autorise la « conversation » poétique et l’exercice de la poésie elle-même.
Sur des prairies vénitiennes
des fentes roses et noires
signalaient parmi les chutes de reins
des croupes sculptées à l’ultraviolet.
Des nymphes au string jaune fluo
cueillaient sous leurs jupes des violettes
en maudissant des faunes.
Sous un ciel rougi au fer
la Toscane et l’Ombrie
décochaient des guêpes peinturlurées
au seuil de nuits traversées de scooters.
Ce n’est pas toujours de peinture dont il s’agit ici, mais aussi de poésie en terme propre, à travers les positions de Daniel Kay qui se penche vers le passé, vers L’Albatros de Baudelaire, ou vers les Voyellesde Rimbaud. Est-ce ainsi que l’on pourrait illustrer la fameuse citation d’Horace, Ut pictura poesis, laquelle s’utilise dans les deux sens, allant de la poésie vers la peinture, et aujourd’hui inversement ? À ce sujet, j’ai beaucoup vu l’importance que donne l’auteur à la plasticité visuelle des couleurs par lesquelles ces couleurs justement peuvent susciter des images qui, à la lecture du poème, provoquent une sorte de contemplation dirais-je. D’où la force du bleu, du rouge, parfois du jaune ou encore des poèmes que souligne le mauve.
Toujours est-il que le poète regarde derrière lui, regarde énormément la peinture et spécialement celle de l’Âge Baroque. J’ai quand même deviné ici ou là des traces de l’expression visuelle contemporaine, par exemple dans les poèmes ayant trait au monochromes, ceux de Klein pour le bleu, ou ceux de Rothko. Mais c’est surtout l’Italie baroque ou l’Italie de la Renaissance qui opèrent comme point d’appui, réserve infinie d’éléments esthétiques qui inspirent l’écrivain. En poésie comme en peinture, et en peinture comme en poésie.
Contre le bleu ou le rouge
le vert n’a plus grand-chose à espérer.
Il devra pousser,
jouer des coudes,
passer à l’abordage,
céder un peu de son carré d’herbes fraîchement taillées
s’il veut tenir sans trop d’égratignures
contre les mètres cubes d’azur, les millions de globules.
Et que l’on soit au milieu de la Fête des couleurs, la célèbre Holi, au nord de l’Inde, ou encore dans la Galerie des Offices à Florence, on retient, quoi qu’il advienne, la force du poème au milieu de ces festivités de la beauté. Ainsi, le bleu est-il une illustration de Kandinsky ou de Goethe, restant donc sous le patronage d’un peintre ou d’un poète ? Et le vert et le rouge sont-ils des notes de couleurs qui représentent le karma ou la robe sacerdotale du bouddhisme tibétain ? ou encore, doit-on suivre les réflexions des historiens comme Michel Pastoureau qui travaille depuis longtemps sur l’histoire symbolique des couleurs ? À chaque lecteur de se faire son idée personnelle.
Je finirai ces quelques propos en les illustrant du poème qui fait le titre du livre, et qui célèbre la fête du silence qu’est de toute évidence une nature morte en peinture, forme académique que l’on connaît tous. Elle offre la possibilité de réfléchir à la fois sur ce qui est intangible dans l’image et ce qui lui fait escorte. Ainsi, nous devenons à notre tour un peu silencieux, même si le poème vibrionne à l’intérieur de la lecture à voix basse, grâce à la voix intérieure.
Vie silencieuse
(en hommage à monsieur Chardin)
En rentrant je pose un soleil noir
sur la bassine de cuivre :
Feux ! Feux ! Feux !
La jatte de lait ne néglige
aucun coin de la table.
Didier Ayres
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