Une mesure de trop, Alain Claude Sulzer
Une mesure de trop, septembre 2013, 267 pages, 22 €
Ecrivain(s): Alain Claude Sulzer Edition: Editions Jacqueline ChambonMarek Olsberg est un pianiste de renom, consacré par les medias, estimé de son propre milieu. Il va donner à la Philharmonie de Berlin un récital de piano en solo. Exercice périlleux pour un musicien, même confirmé. Il doit jouer ce soir-là des œuvres de Scarlatti, de Barber et de Beethoven dont il prévoit d’exécuter la Sonate Hammerklavier N°29 opus 106.
Alors qu’il l’interprète devant les auditeurs attentifs de la Philharmonie parmi lesquels certains de ses amis, des artistes, des élus locaux, des personnalités du monde musical, il s’arrête en plein concert, ferme le piano et quitte l’estrade en énonçant : « C’est tout ».
L’habilité d’Alain Claude Sulzer consiste à décrire dans une première partie de ce roman les vies et interdépendances entre certains personnages qui ont pour point commun d’avoir approché Marek Olsberg, de travailler pour lui, telle Astrid Maurer, secrétaire remarquablement efficace et dévouée, témoignant pour son patron une disponibilité de tous les instants, le protégeant des importuns, de la presse, du monde extérieur. Il y a également un couple d’homosexuels, Claudius et Nico. On apprendra plus tard que Claudius a été l’amant de Marek. D’autres personnes sont impliquées dans ce panorama : Esther, qui va découvrir, en rentrant chez elle plus tôt que prévu, que son époux Thomas la trompe et se comporte comme un homme salace et lubrique.
Un autre personnage, Johannes, doit se rendre à ce concert ; il tente de s’y faire accompagner par Marina, dont le véritable métier est dévoilé très vite : elle est escort-girl, a rendez-vous avec lui dans un hôtel berlinois. Johannes se rend compte à certains indices que cette femme beaucoup plus jeune que lui est la fille de l’une de ses anciennes amantes.
D’autres personnages se brouillent, se déchirent à la suite de cet imprévu, qui bouleverse leur emploi du temps d’un soir et remet en cause leurs relations, l’image qu’ils ont les uns par rapport aux autres. Ce qu’illustre à merveille Claude Alain Sulzer, dont l’écriture est élégante, fine, subtile, c’est la fragilité des relations humaines, la présence (nécessaire ?) de l’illusion dans ces dernières. Cet auteur nous révèle la puissance du détail comme révélateur de la place qu’occupe quelqu’un, ou qu’il n’occupe plus, dans nos vies. Ainsi, l’une des femmes de ce récit, Solveig, amie d’Esther avec laquelle elle a prévu de se rendre à la Philharmonie, énonce-t-elle : « Elle ne ressentait pas son manque de mémoire comme une conséquence de l’âge, mais comme la marque de son autorité. Elle pouvait se le permettre, tout compte fait. Les autres, non. Celle-là, non ».
Marek Olsberg explicitera son geste à la fin du roman ; ce sera pour lui quitter sa geôle « qui avait été belle, luxueuse même, ses dimensions avaient englobé tous les continents, mais ça n’en avait pas moins été une geôle ».
La forme d’exposition du récit, très réussie, nous permet d’entrevoir par la succession de courts chapitres l’état des relations entre les personnages du roman, réunis par l’auteur par couples significatifs ; cette succession de descriptions très fines et pertinentes nous fait entrevoir par une radiographie globale les composantes sociales et personnelles de ces individus. Autre bénéfice de la structure du roman : la division en deux parties, avant et après le concert, qui éclaire la conduite des personnages. Un jeu de boules de billard qui s’entrechoquent et se télescopent pour le plus grand plaisir du lecteur.
Stéphane Bret
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