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Une désarmée des morts, Jean-Michel Devésa (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché 21.08.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Le Temps des Cerises

Une désarmée des morts – Jean-Michel Devésa – Le temps des cerises – 250 p. – 18 euros – 2025

Ecrivain(s): Jean-Michel Devésa Edition: Le Temps des Cerises

Une désarmée des morts, Jean-Michel Devésa (par Philippe Chauché)

 

« Les hommes s’étaient persuadés qu’ils incarnaient la force et le savoir transmis depuis plus de quinze générations, le vin c’était une civilisation et ils en étaient les gardiens, ceux-là plastronnaient dans leur virilité, hôte en zinc au dos, ou sur les remorques et les engins, au cuvier autour des pressoirs, et reléguaient aux sécateurs les saisonniers, Ibères Gitans Maghrébins, avec la marmaille et leur compagnes et fiancées. »

 

Une désarmée des morts est le roman d’un domaine viticole, Barrouille, une ancienne chartreuse du Médoc, cette terre subtile du vin de Bordeaux, bercée par la Gironde et l’océan si proches. Une désarmée des morts est aussi le roman de Maurice qui a repris le domaine viticole avec sa mère Hortense, et de Véronique, une fille de la nuit tarifée bordelaise qu’il épouse.

Roman d’une famille qui va se bâtir dans la colère et la violence, celle de Maurice qui a perdu le bas d’une jambe dans un accident de chasse, amputé d’une partie de son être, comme une vigne arrachée, et dont le souvenir persiste dans la terre qui l’a portée. Après les tumultes et les nuits noires au service du sexe, Véronique s’installe à Barrouille, elle devient la femme admirée du vigneron, mais les nuages s’amoncèlent, la violence s’installe et la nuit devient à nouveau noire, tremblante et terrifiante, jusqu’à la chute qui la rend tétraplégique, accident ou geste fou de l’époux, le roman va dévoiler leur histoire, par touches de couleur, le rouge pour la joie, le gris qui va l’effacer, comme un peintre construit pas à pas, un tableau à venir. La vendange ne sera pas bonne pour les êtres et la vigne, les baies pourrissent sur les sarments, terrible destin qui fait sombrer l’amour et  Barrouille.

 

« Il a emprunté le bac à Blaye pour traverser la rivière et atteindre le Médoc à Lamarque, rejoindre Barrouille via Pauillac Saint-Estèphe et Saint Seurin de Cadourne, en longeant les eaux fangeuses et leurs pernicieux courants. »

 

Jean-Michel Devésa est un écrivain audacieux par son style et sa phrase qui ne craint pas de s’allonger, de flâner sans perdre de son énergie et de sa force, à la manière du Mascaret qui remonte la Gironde, puis la Garonne, une vague qui doucement va mourir loin du Médoc. En déroulant l’effervescence romanesque d’Une désarmée des morts, l’écrivain se souvient, il se souvient de Brazzaville où il a vu le jour, il se souvient des écrivains, ces pays imaginaires, qui l’ont accompagné, qui l’accompagnent dans cet exercice périlleux de l’écriture.  Pierre Bourgeade est l’un des premiers, qu’il honore en fidélité, à Jacques Abeille, qui virevolte comme d’autres inconnus entre les mailles du roman. Son roman est aussi celui des noms, de lieux et d’hommes, des noms qui sonnent et roulent comme des galets, qui un jour se déposèrent sur la terre fertile, qui vit naître les vignes, rendant le Médoc unique par la volupté de ses vins. Une désarmée des morts est aussi le roman de la volupté de Véronique qui dissone avec la colère de Maurice, leurs accords provisoires, se transformeront en désaccords dissonants.  Le silence qui s’installe dans cette famille, la violence dissimulée, la haine qui prend racine, mais aussi les regards, et les éclairs, Jean-Michel Devésa les décrit et les conjugue avec toute la justesse d’un observateur au cœur lourd et à la plume légère.

 

Philippe Chauché

 

On doit à Jean-Michel Devésa, Une fille d’Alger, Garonne in absentia (Mollat), il a coordonné la publication de textes sur l’œuvre de Jean-Philippe Toussaint issus d’un colloque de Bordeaux (Les Impressions Nouvelles), il avait répondu à nos questions : https://www.lacauselitteraire.fr/echange-epistolaire-avec-l-ecrivain-et-professeur-des-universites-jean-michel-devesa-par-philippe-chauche et participé à notre hommage à Bernard Manciet : https://www.lacauselitteraire.fr/hommage-a-bernard-manciet-sous-la-direction-de-philippe-chauche



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A propos de l'écrivain

Jean-Michel Devésa

 

Jean-Michel Devésa est né en 1956 à Alger. Il enseigne la littérature francophone du XXè siècle et de l’extrême contemporain à l’université Bordeaux Montaigne. Il est auteur de nombreux travaux de recherche en littérature. Bordeaux la mémoire des pierres est son premier roman.

 

A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com