Un poète du désir - à propos des Sonnets de Germont
Sonnets de Germont, éd. La coopérative, 2015, 9 €
Le premier livre de la jeune maison d’édition La coopérative, dirigée par Jean-Yves Masson et Philippe Giraudon, prête la voix à une poésie très écrite, très cadencée et presque classique, d’une certaine manière académique – dans le sens d’une application consciencieuse –, et cette dernière épithète ne me fait pas peur. Car ce livre, écrit par un jeune homme de vingt-et-un ans, au milieu des années 80, qui est resté inédit trente ans dans les cartons de Jean-Yves Masson, résiste à notre époque d’aujourd’hui justement parce qu’il est d’une facture simple et harmonieuse. Pour mon propre compte, j’ai d’ailleurs aimé cette « humeur » (le mot mood en anglais est peut-être plus juste), ce chuchotement des années 80, qui suggère un air du temps que j’ai connu au même âge que le poète Germont, un temps pour finir assez sombre et angoissant. Ce furent pour moi aussi, des années de désir, de ce désir de jeune personne éprise du jeu de hasard de la beauté, guidée par une étoile vers l’amour de l’autre, et sujet à cette angoisse de mourir.
C’est ainsi que l’éditeur a d’ailleurs choisi de partager les 47 poèmes du recueil, en trois volets : beauté, amour et mort. Et ce choix est judicieux. Car ce qui nous guide dans la pérégrination à la rencontre de cette poésie, et de la ville aussi, qui occupe ici ou là une place centrale (j’ai reconnu quant à moi, notre capitale Paris), de ce poète Germont, c’est l’idée du désir, désir d’avancer vers le beau, de ne pas avoir peur, de rester inquiet et ouvert à l’amour d’autrui, et de laisser passer la mort avec son hideux principe de destruction. En ce sens, le visage ici est la réunion de tous ces thèmes : regard jeté sur le visage de l’autre pour en chérir la beauté et chercher là une éternelle journée, donc dans la beauté trouver ce qui peut vaincre la mort.
Les eaux passent, recouvrant nos corps
Abandonnés à jamais.
Notre regard est plus transparent que le jour.
ou encore
Qui connaît la force du désir ?
Qui condamne cet espoir ultime
Dont la fin seule est notre peine ?
C’est la métrique qui organise la connaissance du sujet du poète, la métrique transparente et en ce sens très française (si on reconnaît cette transparence à la versification de Racine) et cette scansion du rythme poétique qui véhiculent cette tentative, en un sens, désespérée de la rencontre avec autrui, où l’on reconnaît toutes les ambiguïtés du désir.
Ainsi, l’amour comme force, l’amour comme regard, l’amour comme consommation du désir physique, et cela jusqu’à la mort contre laquelle il faut lutter, cet amour est une violence. Je précise que ce mot « violence » est très référencé pour moi à Jean Genet, que je cite souvent de tête : j’appelle violence une audace au repos amoureuse des périls. C’est le passage de cette audace qui fait le combustible de ces poèmes. Et cela dans la forme ancienne et revisitée du sonnet. La beauté est là aussi, dans cette forme travaillée et, pour le cas qui nous intéresse, non étriquée par la forme, mais au contraire amené par la forme, tenue en bride comme une cavale.
Désespoir du vainqueur :
Ce corps abandonné,
Ces yeux refermés sans pitié
Et le sourire indifférent de la douleur.
Que la lumière est vide
En cette chambre matinale.
Son visage, ses mains sont si calmes,
Et dans le ciel le soleil s’épanouit.
Rends-moi ma peur,
Permets-moi de nouveau de trembler
Devant toi, si plein de douceur.
C’est en vain que tu me supplies :
Je me réveillerai dans le matin blafard
Et je m’en irai, inaccessible.
Il faut sans doute ajouter à ce propos du désir, que c’est aussi le caractère narcissique de ce désir qui nous parle si fort. Car l’idée de désir a son corollaire dans la fin de ce désir et donc son recommencement incessant, vital et presque morbide. Donc, poèmes à la fois de Narcisse et d’Echo, car cette parole ne trouve pas l’autre (le miroir) muet. Est-ce là le chemin du héros du Baudelaire de la chimère du Spleen de Paris ? Ou bien une aventure associée dans l’esprit du poète à la tentative de Pierre Louÿs en ses Chansons de Bilitis ? A chacun de faire sa lecture.
Didier Ayres
- Vu: 3672