Un héros, Félicité Herzog
Un héros, août 2012, 302 pages, 18 €
Ecrivain(s): Félicité Herzog Edition: GrassetQu’est-ce qu’un héros ? n’est pas la question centrale de ce livre, de ce « roman » puisqu’il porte cette mention. Les deux interrogations principales sont plutôt : peut-on tout accepter d’un « héros », y compris la destruction de sa propre famille ? Et qu’apporte le « roman » à une histoire qui aurait pu être écrite sous la forme d’un journal ou de souvenirs ? Félicité Herzog est née en 1968. Son père est un héros. Sa mère descend d’une illustre famille française. Une histoire normale, banale. Non. Quand on lui dit « tu as la chance d’avoir un père comme le tien » Félicité garde le silence. Elle le gardera longtemps.
« Je ne sais pas si c’était le signe d’une réelle inconscience du mal ou celui d’une grande perversité mais je devinais que l’éclat de son sourire légendaire cachait des reflets plus sombres et qu’il n’était pas l’homme qu’il prétendait ».
La mère est issue d’une grande famille industrielle, noble. Elle se débat entre la révolte contre son milieu et ses amants. Les grands-parents, qui s’occupent souvent des deux enfants du couple bientôt séparé (car « rien de mon père et de ma mère ne se mariera réellement »), ont quelques habitudes un peu « anciennes, surtout celle de ne rien voir, rien dire, rien savoir ». Les apparences… Et comment faire quand « tout projet doit être apprécié à l’aune de l’exploit de l’Annapurna ou de la grandeur des Schneider » ? Car le père – Maurice Herzog – est bien le protagoniste principal.
Maurice Herzog fut l’un de ces « conquérants de l’inutile », et il avait l’air « apaisé, revenu de tout ». Comment résister à ce père qui « incarnait pour nous un être fabuleux » ? Pourtant, très vite, « la constatation me vint simplement à l’esprit qu’il mentait ». Le mensonge est sans doute à la base de tout ce qui suivra la tentative de l’Annapurna. L’échec ne pouvait être envisagé, pour des raisons politiques et de société. Il ne pouvait donc y avoir que la victoire, fut-ce au prix d’une « compromission finale avec la vérité ». Tout ne pouvant être dit, ou entendu, le retour de l’expédition fut triomphal. L’événement devint un mythe national. Que pèsera, dans la vie de Maurice Herzog, le mensonge de l’ascension de juin 1950 ? Si mentir une fois conduisait à la gloire, à quoi bon ensuite dire la vérité ? Quand on écrit « d’égal à égal, je dialoguais avec les 8000, les géants qui m’entouraient », et que tout le monde applaudit, comme soigner sa mégalomanie ? Quand toutes les femmes sont à vos pieds, comment retrouver le sens de la famille ? Alors, ce père alpiniste est-il un héros ?
Son « talent de feindre », mais aussi ce « désir inextinguible de sublimation à travers le regard des autres » empêchera toujours ce père d’avoir des relations familiales normales. Il « néglige son entourage sans jamais avoir le sentiment d’avoir fait mal puisque la société le juge si bien ». Et si la fille du héros semble être sortie de la terrible et pesante vie proposée par son père, il n’en est pas de même pour Laurent, le frère ainé. Laissons au lecteur la découverte de moments et de relations familiales encore plus violentes et terribles.
Récit intimiste, récit de souvenirs, avec un style dépouillé, parfois grinçant, posant des questions sur la vérité et le mensonge, sur la cohabitation de deux mondes, Un héros est un roman d’une grande force qui ne laissera pas indifférent.
Les premières lignes :
« Toute ma vie j’ai été dépossédée de mon père par les femmes. Le processus commença par les filles au pair, un lent manège d’Anglaises et d’Autrichiennes, qui apparaissaient puis disparaissaient sans explications. Lorsqu’il était à la maison, événement formidable, il passait le plus clair de son temps à étudier leur ballet avec une attention soutenue puis à répondre à leurs doléances jusqu’à la saison des soupirs, puis à celle des pleurs dont j’aurais pu calculer le cycle avec autant de précision que pour le calendrier lunaire ».
Lionel Bedin
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