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Tunisian yankee, Cécile Oumhani

Ecrit par Theo Ananissoh 21.11.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Elyzad

Tunisian yankee, septembre 2016, 284 pages, 19,90 €

Ecrivain(s): Cécile Oumhani Edition: Elyzad

Tunisian yankee, Cécile Oumhani

 

La couverture du livre est composée de photos d’époque. Un bateau, un paquebot – et nous pensons non pas à une croisière mais aux migrations transatlantiques d’autrefois ; deux portraits, deux visages, une femme, un homme qui nous fixent à un siècle de distance. Étonnants regards francs, sans a priori. Des photos pour ainsi dire silencieuses, à l’image d’un récit calme, attentif qui ne dissimule pas une empathie pour le personnage principal. Mais ne nous y trompons pas, le propos est ambitieux et ample : la Tunisie sous le protectorat français au début du XXè siècle, le statut d’indigénat qui semble annoncer l’apartheid, la société tunisienne elle-même et certaines tares désolantes, la migration en Amérique donc, la Première Guerre mondiale en ses détails sanglants… Trois continents ; des situations historiques (Guerre mondiale, colonisation…) qui, chacune, suffisent à faire un roman. Dawood Casey, soldat américain blessé grièvement en cette dernière année de la Grande Guerre, se meurt lentement dans un hôpital des environs de Paris malgré les efforts médicaux pour le sauver. Que fait-on quand on est alité et qu’on devine dans le regard du médecin le doute quant à ses chances de s’en sortir ? On pense aux siens, à ceux qu’on a aimés ou qu’on aime, à son enfance, au chemin de vie parcouru jusque-là, aux sacrifices consentis pour accéder au bonheur.

Dawood est né Daoud Kaci en Tunisie, dans la dernière décennie du XIXè siècle. Un pays alors sous la tutelle de la France. Daoud est élevé non par sa mère (ni par son père d’ailleurs) mais par une nounou qui est littéralement une esclave, une personne capturée enfant puis vendue à Tunis. Le sens de la liberté, le véritable, est peut-être inné ou n’est pas. Daoud, vite, étouffe sous le double autoritarisme paternel et colonial. Il rêve, il aspire à une autre vie. Chaque rencontre, même éphémère, est vécue par lui comme une incitation à la liberté, une invitation à l’ailleurs.

« Il ne sait pas où le mènera le voyage auquel il se décide, alors que la lueur du matin se reflète à l’intérieur du cercle noir de la tasse où il a oublié de boire son café. Des jours qui deviennent des mois le séparent de la belle trapéziste. Dans le sillage de Berensky, elle lui a indiqué un chemin. Peu importe si elle est déjà en route pour l’Allemagne ou même en Amérique. La vie est ailleurs, lui répète-t-elle avec insistance, à travers ce message dans lequel elle ne lui laisse pas d’adresse. Il faut qu’il parte, qu’il tente de la retrouver. Car il finira par la retrouver, il n’imagine plus qu’il en soit autrement ».

Il y a comme un paradoxe dans Tunisian yankee. C’est un roman riche de faits et d’histoire, une narration qui développe finement les lieux et les sujets dont elle traite ; et elle est (cependant ?) portée par un personnage qui est sans cesse en commencement si l’on ose dire, en chemin vers l’accomplissement de soi. Daoud Kaci veut vivre libre et heureux (on notera l’absence dans le roman de la religion comme facteur d’incompatibilité entre les hommes) ; et de bout en bout de sa jeune existence, il est au seuil de l’amour, du bonheur américain, de la vie tout court. Bébé, l’amour maternel lui est violemment arraché. A peine installé en Amérique, il s’engage dans l’armée et se retrouve sur les fronts de la Grande Guerre en Europe. Alors qu’il entrevoit la fin du conflit mondial, il est grièvement blessé… Avec ce parcours tissé d’inachèvements à répétition, Cécile Oumhani réussit pourtant un personnage romanesque passionnant et éclaire fortement, côté sud, une époque qui fut sans aucun doute le creuset d’un renouvellement du monde. Avec un art sensible et informé.

 

Théo Ananissoh

 


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A propos de l'écrivain

Cécile Oumhani

 

Poète et romancière, Cécile Oumhani, née à Namur (Belgique), vit en région parisienne. Après des années d’enseignement à l’université, elle se consacre à l’écriture. Aux éditions Elyzad, sont parus récemment Tunisie, carnets d’incertitude et Les racines du mandarinier.

 

A propos du rédacteur

Theo Ananissoh

 

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Domaines de prédilection : Afrique, romans anglophones (de la diaspora).
Genre : Romans
Maisons d'édition les plus fréquentes : Groupe Gallimard, Elyzad (Tunisie), éd. Sabine Wespieser

Théo Ananissoh est un écrivain togolais, né en Centrafrique en 1962, où il a vécu jusqu'à l'âge de 12 ans.

Il a suivi des études de lettres modernes et de littérature comparée à l’université de Paris 3 – Sorbonne nouvelle. Il a enseigné en France et en Allemagne. Il vit en Allemagne depuis 1994 et a publié trois romans chez Gallimard dans la collection Continents noirs.

Il a aussi écrit un récit à l'occasion d'une résidence d'écriture en Tunisie, publié dans un ouvrage collectif : "1 moins un", in Vingt ans pour plus tard, Tunis, Ed. Elyzad, 2009.

 

Lisahoé, roman, 2005 (ISBN 978-2070771646)

Un reptile par habitant, roman, 2007 (ISBN 978-2070782949)

Ténèbres à midi, roman, 2010 (ISBN 978-2070127757)

L'invitation, roman, Éditions Elyzad, Tunis 2013

1 moins un, récit, (dans Vingt ans pour plus tard), 2009