Trois jours à Jérusalem, Stéphane Arfi (par Gilles Banderier)
Trois jours à Jérusalem, octobre 2018, 316 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Stéphane Arfi Edition: Jean-Claude Lattès
Les « vies de Jésus » forment une sous-catégorie particulière du genre littéraire appelé « biographie » et aucun être humain, si longue que soit son existence, ne pourra les lire toutes. Comme cela se produit invariablement, cet amoncellement de volumes, qui soutiennent des positions contradictoires, finit par s’auto-annuler et par s’affaisser sous sa propre masse. On en revient alors au point de départ, à ces quelques dizaines de pages du Nouveau Testament, dues à de très grands écrivains, de même qu’on revient toujours à Platon ou à Shakespeare, quand les yeux et l’esprit sont fatigués d’avoir compulsé des piles de thèses et d’études critiques à leur sujet.
Loin d’être une biographie exhaustive, le mince recueil que l’on désigne sous l’expression de Nouveau Testament garde un silence infranchissable sur des pans entiers de la vie du Christ. De même que certains individus ne supportent pas le silence et éprouvent le besoin de le remplir par ce qui vaut rarement mieux que lui – du bruit ou du verbiage – on a très tôt tenté de meubler le silence des Évangiles. Une bonne part de ce qu’on appelle la littérature apocryphe n’est rien d’autre qu’une tentative, très rarement réussie, de briser ce silence.
On n’imagine pas une crèche de Noël où ne figureraient ni un âne, ni un bœuf, sympathiques animaux dont la présence est rapportée dans un apocryphe, l’Évangile de l’Enfance, dit du Pseudo-Matthieu (qui nous a été transmis par plus de cent trente manuscrits : ce n’est donc pas un texte qu’on eût cherché à dissimuler, comme on veut parfois le faire croire), et bon nombre de représentations figurées prestigieuses de la Nativité en découlent.
Des quatre Évangélistes, Luc fut le seul à recevoir les confidences directes de Marie (imagine-t-on ce que cela pouvait représenter ?). Ce n’est que chez lui qu’on lit les paroles échangées entre la fille de Sion et l’ange Gabriel, ou l’apparition de l’ange à Zacharie dans le Temple de Jérusalem. Luc est également le seul à évoquer cet épisode mystérieux des trois jours (le chiffre n’est ni aléatoire, ni insignifiant) au cours desquels Jésus faussa compagnie à ses parents venus à Jérusalem accomplir un des trois pèlerinages d’obligation (voir Exode/Chemot 23, 15-16 ; 34, 23 ; Deutéronome/Devarim 16, 16). Ce n’était pas la première fois que la sainte famille se rendait au Temple. Quarante jours après la naissance de Jésus, ses parents vinrent y offrir le sacrifice exigé des gens de condition modeste : deux tourterelles. Ce fut à ce moment qu’eut lieu la rencontre avec Siméon, qui annonça que l’enfant serait « lumière pour éclairer les nations et gloire de [s]on peuple Israël ». C’est à nouveau Luc qui rapporte ce trait (2, 29-32). Douze ans plus tard, comme l’avait bien vu dom Calmet, Jésus était devenu « fils du précepte », bar-mitsva. De cet épisode, on ne retient que la conclusion : quand Marie et Joseph retrouvent leur fils, il est assis au milieu des rabbins. Or il n’est guère concevable que Jésus ait passé ainsi trois jours et autant de nuits. Où était-il et que faisait-il ? Le roman de Stéphane Arfi raconte ce qui aurait pu se passer : des rencontres, avec un autre jeune garçon, Judas le sicaire (Iscariote), la future Myriam de Magdala (Marie-Madeleine) et, surtout, Hillel, maître de la sagesse juive, fondateur d’une école rabbinique et qu’on a souvent rapproché du Christ (Mireille Hadas-Lebel, Hillel, un sage au temps de Jésus, 1999) ; les premiers affrontements avec les prêtres du Temple, qui produiront le résultat que l’on sait. Au point de vue de l’orthodoxie théologique, représenter Jésus comme une sorte d’angry young man est sans doute inexact, mais telle est la liberté du romancier et Trois jours à Jérusalem n’est pas un ouvrage de théologie. Cependant, lorsque Stéphane Arfi s’aventure sur le terrain de l’exégèse, qui est une science, on est fondé à lui faire des remarques. La question de la date à laquelle furent rédigés les Évangiles est, on le sait, complexe et controversée. Rien ne permet de dater Luc de l’année 70, lorsque le Temple fut détruit. Les remarques sur l’hébreu hèsèd, terme récurrent dans la Bible et qui se trouve peut-être à l’arrière-plan de ce que la routine exégétique et liturgique traduit par « amour », sont intéressantes. Mais fallait-il que l’auteur eût relu son texte et ses épreuves avec négligence, pour écrire (p.310) que « la fameuse Lettre de Paul aux Corinthiens » (laquelle, au fait ?) se trouve dans l’Ancien Testament…
Gilles Banderier
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