Trois cahiers avec une chanson, Jean-Charles Vegliante (par Didier Ayres)
Trois cahiers avec une chanson, Jean-Charles Vegliante, L’Atelier du Grand Tétras, juillet 2020, 64 pages, 12€
Poésie, question de l’ailleurs
Recevoir un nouveau livre, surtout s’il s’agit d’un recueil de poèmes, est toujours une façon pour moi d’aborder des questions essentielles. Donc, j’aime me confronter à la pâte du poème pour en circonvenir l’aventure sensible et projeter ainsi ma propre sensibilité, les questions qui me traversent sur le texte que je découvre. Je lis donc autant le livre pour lui-même, que je me lis dans le poème. Ici, non seulement le recueil s’ouvre sur deux textes qui orientent une compréhension globale de l’ouvrage, mais encore permettent de juger le poème à partir d’un autre lieu : la mort – dernier séjour où tous les séjours s’achèvent.
En restant un mystère, la mort construit une vision du monde, un endroit d’énigme, où se dirige la douleur du poète pour qui ce mystère fait poème. Pour Jean-Charles Vegliante cette sorte de liturgie est en relation avec la nature. Ou sinon une liturgie et néanmoins une tension vers la fin matérielle des choses, et surtout, l’arc-boutant d’un ailleurs. À mon sens, c’est cela la réponse à ces poèmes, la recherche d’un lieu, d’une habitation plausible, d’une arrivée en terre de beauté.
Oui, l’espace du for intérieur, le château intérieur, le fort, un arrière-monde, en-deçà de la lisibilité, et au-delà de la profération. Cette poésie ouvre sur les modalités d’un ailleurs. De plus et par voie de conséquence logique, c’est le passage vers cette autre part qu’il faut signifier. Certes, on devine la recherche d’un lieu-dit, d’une enclave, d’un isthme personnel, d’un endroit qui autorise le témoignage, volonté pour laquelle il faut construire des ponts, adosser les mots et faire confiance en leur solidité. Mais finalement, cette demeure – ce théâtre d’ombre des sentiments humains – n’est possible que par le langage.
Patrie inatteignable de l’alouette !
chaumes déçus, ciel vide
c’est elle qui serait le vrai lieu
Ne soyons pas naïfs, la poésie n’empêche pas le monde de se détruire, ni de se sentir sujet du temps qui passe, ni de connaître peu ou prou la mort, celle d’autrui, la sienne, la mort comme épithète. Le texte n’est vainqueur que par sa propre prosodie, et rien d’autre.
J’ai beaucoup parlé avec Jean-Charles, à travers des échanges de courriels, de ce qu’il cherche dans le poème. Pour lui, si j’ai compris, le poème ne peut se mêler à du discours philosophique, académique, ni même discourir vraiment. Cependant, la forme du quintil irrégulier qu’il utilise souvent, laisse à penser que le poème peut quand même se mêler de musique. Pour ma part, j’y ai reconnu les rythmes de ce qu’on appelle la mélodie française (notamment depuis Fauré et Franck). Ainsi, la question du lieu tel que je viens d’en définir grossièrement les contours, prend un sens nouveau. Comme dans la musique l’espace est une notion abstraite, presque arbitraire, tant s’en faut qu’il soit possible d’aimer ou non cette mélodie, ou cette autre, constituant de cette manière un espace sentimental. Le poème qui suivrait cette dématérialisation physique pourrait créer cet ailleurs recherché, ce monde où la poésie serait parfaitement princesse d’un monde qu’elle emplirait d’elle-même, sans aucun partage avec le discours volontaire du poète. À mes yeux, ces Trois cahiers sont des espaces qui musicalement atteignent au langage, donc malgré tout impénétrables au discours conceptuel. Selon moi – et selon le peintre Markus Lüpertz par exemple – la destination essentielle de l’œuvre d’art doit se trouver dans l’inexplicable, l’insécurité langagière, l’incertitude obscure de notre condition d’homme. Chaque lecteur pourra choisir son arcature et percer à sa manière les arcanes du poème.
Didier Ayres
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