Tribut pour un homme libre, Jean-Paul Michel (par Didier Ayres)
Tribut pour un homme libre, Jean-Paul Michel, frontispice, Jacques Le Scanff, éd. fario, 80 p., 2025, 15 €

L’écriture, l’écrivain
Qu’est-ce que la littérature ? Quel est le rapport de l’écrivain à l’image ? Quelle est sa relation à l’archive, à la durée ? Quel regard l’auteur jette sur lui-même à travers son travail ? Que produit-il ? À mon sens, par exemple, Proust est écrit par la Recherche, plus qu’il ne l’écrit. En tout cas, le livre de Jean-Paul Michel convient à cette définition : il est le corps historique de son écriture. Il réfléchit a posteriori sur ce qu’il a noté il y a 20 ans, notamment à Rome ou à Florence. Au début du XXIème siècle.
Et l’ouvrage ouvre sur la trace écrite d’un voyage, où J.-P. Michel cherche l’éclat (comme le préconise Jean-Marie Pontévia au sujet de la peinture). Cette littérature est donc « traversante », elle passe au milieu d’elle-même comme une marque, une empreinte entêtante, capiteuse. Elle cerne le mystère de la peinture grâce à un vocabulaire de géomètre, presque scientifiquement. Et de là s’engage le rythme, la prosodie.
Quelles tâches, pour nos arts, au regard de tant de misères ?
D’abord, ne pas imaginer pouvoir se tirer d’affaire à trop bon compte ! Garder vifs, le plus crûment possible, devant nous, et l’impossible de la réponse, et la force d’endurer, sans mentir, la brûlure de cette vérité coûteuse : nous ne savons pas.
L’on voit avec cette situation nommément comment le travail d’une écriture est une réflexion, toujours sur le temps, sur ce que le poème abolit et n’abolit pas au même moment. Cependant, il abolit la durée et l’incarne abolie. Est-ce ici la différence d’âge d’un écrivain venant de l’année 2000 jusqu’à l’année 2025, où le livre se délivre ?
On peut imaginer que de telles propositions portent en elles tant d’effroi qu’elles suscitent de violentes négations des mondes hors écran – lesquels se verront de plus en plus refusée leur qualité de réalité.
Ici c’est l’exercice de la maturité, l’épaisseur des signifiants, la relecture d’une période passée, une question sur le monde contemporain (qui dès 2000 prenait l’allure qu’on lui connaît : mondialisation, numérisation, communication, écrans, liens gazeux). Cette nouvelle réalité (qui a déjà 20 ans d’âge) se lit dans la prose de J.-P. Michel. Et cela sans vieillissement de l’expression qui reste à la fois abstraite et sentie comme réelle. Il met à jour l’écriture, et ce faisant, il met à jour le monde, et ce faisant il met à jour la mondialité et sa mondanité.
Cette cryptographie se situe à un moment de passage. Allant de la post-modernité vers ce que l’on pourrait peut-être appeler maintenant une néo-modernité, ayant accomplit le fantasme d’un monde total et sans limites. Un monde de miroitements, un univers guidé par un narcissisme primaire. Par la mainmise de micros-récits sur le déroulé de l’Histoire. Par l’effacement de la fable historique, naguère assujettie à un procédé dialectique, qui rend nécessaire la construction d’un récit personnel mais qui n’a de compte à rendre à personne. Seule la rédaction d’un poème fait obstacle à ce sillon numérique que rien n’arrête.
Pour conclure, je dirai que tout le livre, et les réflexions qui s’y trouvent induites, baignent dans des lumières italiennes (ce qui aurait sans doute convenu à Pontévia), lumières du Sud, lumière italienne, air particulier de la Méditerranée, et c’est son atmosphère qui finit par triompher de ces 25 années de travail au cœur d’un texte.
Didier Ayres
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