Toxiques, quand les livres font mal, Laurent Jouannaud
Toxiques, quand les livres font mal, L’Editeur, août 2015, 144 pages, 12 €
Ecrivain(s): Laurent Jouannaud
Eloge de l’affliction addictive
En littérature comme ailleurs il est des douleurs qui fascinent et des plaisirs qui tuent. Généralement les critiques font l’impasse dessus. Ils pérorent en tombant dans la métaphore exhaustive pour chanter l’écriture rayonnante des écrivains qui les ont charpentés. Laurent Jouannaud choisit un parcours inverse. Il opte pour une autre faconde plus radicale et pour ses créateurs de l’effondrement : ceux qui l’ont « déconstruit ». Mais pour mieux lui ouvrir les yeux selon des expériences de fondement.
Ce chemin de traverse est aussi pertinent qu’impertinent. Retenant « ses » sept livres de son bouleversement (Les fleurs du mal, Voyage au bout de la nuit, Une saison en enfer, Mémoires d’Adrien, Belle du Seigneur, La recherche du temps perdu et L’Innommable), l’essayiste fait éprouver plus qu’expliquer comment l’articulation du corps et de la langue, du silence et des mots joue dans « ses » livres toxiques dont il prétend ne pas se faire le prosélyte. C’est bien sûr faux. Et l’on s’en réjouit.
Certes comme écrivait Duras dans son livre testamentaire : « la littérature ne sauve pas ». Mais elle a mieux à faire. C’est une maladie qui ne guérit pas la vie mais permet de la « tenir » tant que le discours se poursuit.
Le livre de Jouannaud devient un commutateur inhabituel afin de faire jaillir la lumière noire dont sont porteuses les œuvres retenues et dont le supremus reste L’innommable de Beckett. Dans ce roman de l’épuisement le créateur « ajuste les mots pour ne rien leur faire dire ». Mais ce rien est un tout. Jouannaud souligne la sidération d’œuvres opaques (par myopie) et inépuisables où l’hydre des mots reste majeure.
Grâce à eux, ni Baudelaire, ni Cohen, ni Céline ne théâtralisent l’humain : celui-ci est chargé de son poids d’obscur. C’est pourquoi l’intoxication nécessite la demi-obscurité que de telles œuvres génèrent. Elles désordonnent et exaltent les structures de l’être et du monde et permettent de faire jaillir l’Innommable. Beckett la précisa : « ça a un nom, c’est l’existence ».
Jean-Paul Gavard-Perret
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