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Soudain nous ne sommes pas seuls, Paul de Brancion (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 01.09.25 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Soudain nous ne sommes pas seuls, Paul de Brancion, illustrations Liliane Klapisch, Florence Manlik, éd. de Corlevour, 80 p., 2025, 15 €

Soudain nous ne sommes pas seuls, Paul de Brancion (par Didier Ayres)

Face-à-face avec la mort

Quittons donc les œuvres de ténèbres, et revêtons-nous des armes de lumière.

Paul, Romains, XIII, 12

J’ai lu lentement ce recueil que publie Paul de Brancion, car le poème ici est une eau rare, et il faut savoir économiser sa peine, l’acte de lire, afin de ne pas gâcher la chance d’une prière bien faite prononcée dans le cœur sourd d’une voix intérieure. La lecture se développe dans une cambrure touchant à la fois au fond de l’être humain – sa mort et son existence devant cette mort – et ses espoirs. Oui, ce recueil organise un face-à-face avec la mort et, en définitive, le poète est plus fort qu’elle, il la transcende. Nous sommes tous, quoi que nous fassions, un être devant la mort, et cela pour comprendre la vie, et là, insistant sur un stoïcisme de la pensée. Être stoïque devant l’heure dernière : la plus grande mission de l’homme.

la nuit

nous rêvons de notre fin

distinguant dans la lumière blanche du songe

la possibilité de la mort qui survient

à coup sûr

L’on se trouve devant l’échéance dernière comme ébloui, saturé par la lumière du vivant, par la transcendance de l’éclat spirituel, avec au cœur un espoir incroyable. L’extériorité de la mort – objective – se conjugue à l’intériorité de la vie – sa subjectivité. Et au long de ces quinze petits chants poétiques, on aperçoit parfois de simples contingences : le métro à Londres ou comment mettre son sweater dans une machine à laver le linge.

en dehors de l’intuition du sentiment d’exister

pas de certitude hormis le doute célèbre

l’acte de vivre est-il un songe

l’acte de mourir un réveil

on ne sait

L’on devine aussi un sentiment qui court souvent au milieu des pages de ce livre : la peur (et qui n’aurait pas peur devant la Camarde ?). L’angoisse reste inexplicable. Elle perdure, elle saille fortement souvent dans Le je-ne-sais-quoi et le presque-rien de la vie, dont la douleur est réelle.

Il faut savoir que le texte a été écrit dans la perspective de la fabrication de vitraux : ce qui laisse entendre l’importance que prend le mot « lumière ». Mais ce principe de la « lumière » s’appuie sur le principe de l’ombre comme la vie s’appuie sur l’heure ultime. Et à la lumière l’on distingue les visages, dès lors que l’on pénètre le mystère de l’Autre qui se présente à soi. L’on ressent la charge soudaine d’une dette envers autrui (Levinas en parle abondamment). Et les deux thèmes opposés coexistent dans l’apparition soudaine de l’idée que nous ne sommes pas seuls.

mais comment suivre

où dans la lumière ?

ébloui

vers quel visage dissimulé

vers la clarté de la vie

Au gré des lumières que pénètre le poème, l’on croise le Mal, le Destin, Satan, Jadis, l’obscurité malsaine et l’obscurité saine, celle du fœtus du ventre de la mère ou celle de la demeure mortelle. C’est une certitude d’ordre cartésien qui hante le livre : comme vérité dernière, comme dernière vérité de l’homme, la mort.

 

Didier Ayres



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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.