Soudain nous ne sommes pas seuls, Paul de Brancion (par Didier Ayres)
Soudain nous ne sommes pas seuls, Paul de Brancion, illustrations Liliane Klapisch, Florence Manlik, éd. de Corlevour, 80 p., 2025, 15 €

Face-à-face avec la mort
Quittons donc les œuvres de ténèbres, et revêtons-nous des armes de lumière.
Paul, Romains, XIII, 12
J’ai lu lentement ce recueil que publie Paul de Brancion, car le poème ici est une eau rare, et il faut savoir économiser sa peine, l’acte de lire, afin de ne pas gâcher la chance d’une prière bien faite prononcée dans le cœur sourd d’une voix intérieure. La lecture se développe dans une cambrure touchant à la fois au fond de l’être humain – sa mort et son existence devant cette mort – et ses espoirs. Oui, ce recueil organise un face-à-face avec la mort et, en définitive, le poète est plus fort qu’elle, il la transcende. Nous sommes tous, quoi que nous fassions, un être devant la mort, et cela pour comprendre la vie, et là, insistant sur un stoïcisme de la pensée. Être stoïque devant l’heure dernière : la plus grande mission de l’homme.
la nuit
nous rêvons de notre fin
distinguant dans la lumière blanche du songe
la possibilité de la mort qui survient
à coup sûr
L’on se trouve devant l’échéance dernière comme ébloui, saturé par la lumière du vivant, par la transcendance de l’éclat spirituel, avec au cœur un espoir incroyable. L’extériorité de la mort – objective – se conjugue à l’intériorité de la vie – sa subjectivité. Et au long de ces quinze petits chants poétiques, on aperçoit parfois de simples contingences : le métro à Londres ou comment mettre son sweater dans une machine à laver le linge.
en dehors de l’intuition du sentiment d’exister
pas de certitude hormis le doute célèbre
l’acte de vivre est-il un songe
l’acte de mourir un réveil
on ne sait
L’on devine aussi un sentiment qui court souvent au milieu des pages de ce livre : la peur (et qui n’aurait pas peur devant la Camarde ?). L’angoisse reste inexplicable. Elle perdure, elle saille fortement souvent dans Le je-ne-sais-quoi et le presque-rien de la vie, dont la douleur est réelle.
Il faut savoir que le texte a été écrit dans la perspective de la fabrication de vitraux : ce qui laisse entendre l’importance que prend le mot « lumière ». Mais ce principe de la « lumière » s’appuie sur le principe de l’ombre comme la vie s’appuie sur l’heure ultime. Et à la lumière l’on distingue les visages, dès lors que l’on pénètre le mystère de l’Autre qui se présente à soi. L’on ressent la charge soudaine d’une dette envers autrui (Levinas en parle abondamment). Et les deux thèmes opposés coexistent dans l’apparition soudaine de l’idée que nous ne sommes pas seuls.
mais comment suivre
où dans la lumière ?
ébloui
vers quel visage dissimulé
vers la clarté de la vie
Au gré des lumières que pénètre le poème, l’on croise le Mal, le Destin, Satan, Jadis, l’obscurité malsaine et l’obscurité saine, celle du fœtus du ventre de la mère ou celle de la demeure mortelle. C’est une certitude d’ordre cartésien qui hante le livre : comme vérité dernière, comme dernière vérité de l’homme, la mort.
Didier Ayres
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