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Sonnets du petit pays entraîné vers le Nord et autres jurassiques, Jean-Charles Vegliante (par Valérie T. Bravaccio)

Ecrit par Valérie T. Bravaccio 16.01.20 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Sonnets du petit pays entraîné vers le Nord et autres jurassiques, Jean-Charles Vegliante, L’Atelier du Grand Tétras, mai 2019, 56 pages, 13 €

Sonnets du petit pays entraîné vers le Nord et autres jurassiques, Jean-Charles Vegliante (par Valérie T. Bravaccio)

Livre d’une rare qualité d’impression, avec une couverture en papier Tintoretto 250 gr et des pages en vélin ivoire Palatina, relié en cahiers cousus, auprès des Presses de L’Atelier du Grand Tétras, pour y accueillir 9 encres de Véronique Cheanne (peintre qui travaille différents matériaux : cendres, enduits, pigments naturels, terre, encre et aquarelles). L’une d’entre elles est reproduite sur la couverture afin d’accompagner le titre du recueil de 21 poésies de Jean-Charles Vegliante, Sonnets du petit pays entraîné vers le nord et autres jurassiques.

Si la forme poétique très connue, le sonnet, est le lieu de l’expression du « je » poétique par excellence, néanmoins, le titre est énigmatique. Quels sont les référents pour « petit pays », « le nord », « jurassiques » ? D’autant plus qu’une présentation du poète est très succincte : « né à Rome, a vécu en Franche-Comté puis à Paris ». Sur la 4 de couverture, est mentionné « un exil […] reparcouru le long d’un arc temporel […] ».

Le titre a une dimension géographique, avec un parcours allant « vers le nord », du Jura (un massif montagneux qui a donné son nom à la période dite « jurassique »), jusqu’à la capitale de la France. On peut suivre un déplacement, des monts du Jura jusqu’aux non-lieux du nord urbain où des tentes précaires accueillent des réfugiés ou de simples migrants. Mais il n’y a aucune indication de dates précises : le départ d’Italie (peut-être), le séjour dans le Jura, l’arrivée à Paris. D’ailleurs, le « je » poétique ne s’exprime qu’une seule fois en tant que tel dans les 21 compositions : « […] / Si je le connaissais, le nom de l’enfant / prendrait place ici parmi ces rythmes tristes / pour rappeler le chagrin d’autres enfants – / nous – ayant découvert que les jours finissent / […] ».

L’exil dont il est question est également, comme on peut le lire sur la 4 de couverture, « celui du passage à l’âge adulte », lorsque l’on perd peu à peu ses parents. Le livre s’ouvre effectivement par une citation en français d’un poète italien, Giacomo Leopardi : « Un temps viendra où cet univers, et la nature / même, sera éteinte », qui annonce d’emblée une fin programmée. Mais mis à part cette citation et la mention d’un lien de parenté « […] / – l’orée du domaine simple de sa mère / dont il ne s’est jamais affranchi. / […] » ou d’un nom précis (In memoriam R. Bouhéret) sous le titre du sonnet Mouvement, Mousses, le poète ne se livre pas explicitement sur le thème de la perte de ses proches.

Nous savons qu’en poésie, les poètes ne se dévoilent pas aussi facilement que dans les autres grands langages (et que leur expression peut être, par exemple, lyrique, autobiographique, symbolique, métaphysique, psychologique, etc.). Alors, quelle est ici sa forme expressive pour partager avec le lecteur son expérience intime ?

C’est justement au premier vers, écrit entre guillemets (et qui a donc une valeur de citation), du sonnet dont on vient de citer le titre, que l’on a un début de réponse : « Sans forme, qui nous consolera ? ».

La consolation est le thème central du Livre. Et elle s’exprime par le sonnet dont sa construction est nouvelle dans le panorama de la poésie française : « / […] Le sonnet ânonne doucement ses bribes / survivantes […] ». Le passage à l’âge adulte est par conséquent le moment où Jean-Charles Vegliante s’affirme en tant que poète. Il s’agit, comme on peut le lire dans le premier sonnet, d’une « […] naissance / inverse, survie au noir par les carbones / éternels. […] » qui n’est autre que la naissance de son expression poétique.

Et elle ne date pas d’aujourd’hui : 10 sonnets écrits en 1989 et publiés sous le titre Sonnets du petit pays entraîné vers le nord, font partie des 21 compositions de ce Livre. Ce sont les 10 sonnets qui ont un titre écrit en lettres capitales. Ils ne forment ni un regroupement, ni ne se suivent dans un ordre chronologique mais font partie intégrante de l’architecture interne. Avec au cœur du livre, un quatrain, trace d’un sonnet « déchiré » ou illisible, voire endommagé puisque le 4ème vers, qui commence par une parenthèse, s’interrompt brutalement « vapeur de décharges »». De part et d’autre, 10 sonnets, comme un « avant » et un « après », rappelant l’architecture interne du Canzoniere de Pétrarque (« In vita » et « In morte » de sa muse Laura). Si la majorité des sonnets ont 14 vers sans les espaces typographiques qui aident traditionnellement à reconnaître les deux quatrains et les deux tercets, on remarque que 3 sonnets sans titre de la deuxième partie du Livre sont typographiquement différents (Ici les nomades se pressent… a des vers découpés laissant des espaces blancs ; Il faut marcher, marcher… est perforé par des petits points en son centre ; Légèrement l’homme penche… a un vers supplémentaire (15 au lieu de 14) isolé par un saut de ligne).

La nouveauté c’est aussi l’affranchissement des automatismes les plus communs de l’écritureet par conséquent de la lecture du texte poétique : « […] / Vers le nord, c’est trébucher à chaque pas / dans le rêche lacis de syllabes / […] » pour trouver « […] la porte du vrai monde, ça / par où bêtes et hommes peuvent paraître / sans voile – et reparaître une fois partis / dans une fente du temps – mais c’est l’espace / qui garde la forme où nous les avons vus – […] ». Ces « hommes » qui peuvent « reparaître » sont des disparus, des hommes de Lettres, des poètes surtout, issus de la tradition littéraire italienne. Le poète Jean-Charles Vegliante n’est donc pas le seul « exilé » dans son Livre : c’est par ses compositions poétiques qu’il va importer en France des références culturelles italiennes, par exemple, Dante Alighieri (dont Vegliante est un traducteur) (1), Francesco Petrarca, Giovanni Boccaccio, les célèbres trois « couronnes […] dont la forme poétique, mieux que nous, se souvient » (2).

 

Valérie T. Bravaccio

 

(1) Voir à ce propos la présentation de Michel Host du 09.01.2013

http://www.lacauselitteraire.fr/la-mere-michel-a-lu-14-la-comedie-dante-alighieri

(2) Le site Poezibao accueille ma lecture de trois sonnets tirés du recueil

https://poezibao.typepad.com/files/lecture_de_trois_sonnets_par_valerie_bravaccio14408.pdf

 

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A propos du rédacteur

Valérie T. Bravaccio

 

Valérie T. Bravaccio est enseignante certifiée d’italien à l’académie de Versailles.

Elle est l’auteure d’une Thèse de doctorat sur le lyrisme de Edoardo Sanguineti (2007) et d’une Maîtrise sur la traduction en français des poésies de Giorgio Caproni (2001).

Elle a contribué à De la prose au cœur de la poésie (2007) entre autres sur Charles Baudelaire.