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Snuff, Chuck Palahniuk

Ecrit par Yann Suty 03.10.12 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Recensions, Roman, USA, Sonatine

Snuff, trad. de l’américain par Claro, 20 septembre 2012, 216 p. 16,50 €

Ecrivain(s): Chuck Palahniuk Edition: Sonatine

Snuff, Chuck Palahniuk

 

Amis de la poésie palahniukienne, bonjour !

Avec Snuff, l’espoir renaît. L’espoir après Pygmy, le précédent Palahniuk, cet ersatz de roman, une catastrophe, sans doute l’un des pires livres écrit ces dernières années. Impossible à achever même avec la meilleure volonté du monde. Comment un éditeur a osé publier cette « chose » ? Sans doute parce qu’elle était signée Chuck Palahniuk et quand on est un auteur de cette renommée, une véritable rock-star, on peut tout se permettre. Et même de faire de la daube. Et même de prendre son public par-dessus la jambe.

Mais on est prêt à lui pardonner. Car avant, il y a eu quelques sacrées pépites. Un humour très noir, des situations trash jusqu’à la nausée, un style syncopé qui peut produire des merveilles : Fight club, Survivant, Choke, Berceuse. Ou des résultats plus inégaux : A l’estomac, Peste. Ou alors la mayonnaise ne prend pas : Pygmy, Journal intime.

L’une des forces de Palahniuk – mais qui devient aussi une faiblesse –, est de vouloir sans cesse innover au niveau de la forme pour mieux séduire le lecteur, le divertir. Parfois, c’est au détriment de l’efficacité narrative. L’exemple type est A l’estomac. Au lieu de se contenter d’un recueil de nouvelles avec des merveilles absolument horribles qui vous oblige à abandonner la lecture pour reprendre de l’air, il emballe ça dans un pudding avec maison hantée et histoires abracadabrantesques…

Snuff, donc, où Palahniuk se frotte au porno.

La liaison est logique. L’auteur continue de se pencher sur la face obscure des sociétés bien pensantes. Le fan salive.

L’histoire n’est pas d’une grande subtilité (mais Chuck Palahniuk n’est pas un auteur subtil et c’est pour ça qu’on l’aime !) : Cassie Wright, une star du porno, décide de terminer sa carrière sur un coup d’éclat en organisant le plus grand gang-bang de l’histoire. En une nuit 600 hommes lui passeront dessus. Ça risque de faire mal.

« En haut de ces marches, pour tous ceux qui passent après le cinquantième, Cassie Wright ressemblera un cratère laissé par une bombe et nappé de vaseline. »

Parmi eux, l’auteur va s’attacher à suivre, les n°72, 137 et 600, mais aussi la régisseuse, Sheila. Et, évidemment, tout ne va pas se passer comme prévu…

On peut dire que ça commence bien. Ça commence comme du Palahniuk en grande forme. Pygmy est tout de suite effacé, Pygmy est pardonné. Comme par exemple ce paragraphe :

« La meilleure façon pour ressentir l’ambiance de cette journée, c’est de vous imaginer sur les chiottes, en train de vous torcher d’arrière en avant. Vous faites pas gaffe, et vous étalez la merde sur la peau toute ridée de vos couilles qui pendent. Plus vous essayez de vous nettoyer, plus la peau se tend et les dégâts ne font qu’empirer. La fine couche de merde s’étend sur les poils et le long de vos cuisses. Voilà à quoi ressemble cette journée, ce que c’est de garder un secret ».

Bien sûr, c’est réservé à un certain type de public. On peut ne pas aimer. Mais pour ceux qui aiment, on est en terrain familier. La bonne poilade trash. Le style inimitable et ses apartés qui expliquent tant de choses, toujours très instructives :

« La meilleure façon d’effacer un suçon, c’est avec du dentifrice normal. Pour faire dégonfler les yeux enflés, déposez une tranche de patate crue sur chaque œil. L’acide alpha-lipoïque de la patate arrête l’inflammation. Toujours s’exfolier la peau du visage au bicarbonate de soude, ne jamais utiliser de savon ».

Le problème, c’est que Snuff a du mal à tenir le rythme. Palahniuk ne se risque pas à montrer la porno star en action (ce qui aurait un exercice de style assez délicat) et se concentre sur les coulisses et sur les hommes qui vont, pendant une minute et une seule, participer à ce record du monde un peu particulier. Il aurait d’ailleurs été intéressant de faire de Cassie Wright un vrai personnage, pour comprendre comment elle en arrive là, etc., mais ça, c’est une autre histoire…

Unité de lieux, unité de temps : c’est presque du théâtre et on en regretterait que ça n’en soit pas, car Palahniuk est fort en dialogue : les répliques font mouche, sont cruelles et vicelardes, percutent comme des vannes.

Le livre s’empêtre, car l’intrigue est mince. Elle repose d’abord sur un concept – le plus grand gang-bang de l’histoire –, mais un concept n’est pas un roman. Les personnages sont parfois un peu caricaturaux. En tout cas, ce ne sont que des numéros, au sens propre du terme. Palahniuk est souvent à l’extrême limite et malheureusement, il finit par basculer dans le grand-guignol.

Bref, cette histoire de gang-bang bande un peu mou, mais elle permet de se rendre compte que l’auteur chéri n’est pas encore mort. Vivement le prochain (même si, pour la petite histoire, Snuff est sorti aux Etats-Unis avant Pygmy…). On se rend compte d’ailleurs que les plus forts romans de l’auteur sont ses premiers et que le dernier « grand » Palahniuk, Berceuse, date de 2002… Mais l’espoir est toujours là.

 

Yann Suty


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A propos de l'écrivain

Chuck Palahniuk

 

Charles Michael « Chuck » Palahniuk est né le 21 février 1962 à Pasco, dans l’Etat de Washington. Après des études de journalisme qui ne lui permettent pas de vivre de ce métier, il devient mécanicien pendant 10 ans. Il écrit à cette époque Monstres invisibles, qui est refusé par les éditeurs en raison de son contenu trop provocant. Il entreprend alors l’écriture de Fight Club qui rencontre un succès notable et est porté à l’écran en 1999 par David Fincher, avec Brad Pitt et Edward Norton. Il est également l’auteur de Choke (2002), Berceuse (2004), A l’estomac (2006), Peste (2007).

A propos du rédacteur

Yann Suty

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Membre fondateur


Yann Suty est écrivain, il a publié Cubes (2009) et Les Champs de Paris (2011), chez Stock