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Sigmaringen, Pierre Assouline

Ecrit par Martine L. Petauton 19.03.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

Sigmaringen, Janvier 2014, 350 pages, 21 €

Ecrivain(s): Pierre Assouline Edition: Gallimard

Sigmaringen, Pierre Assouline

 

 

Nervosité d’une écriture précise, descriptions affinées ; attaques des dialogues, sens d’un restitué – loin des clichés – propre à amarrer l’Histoire au plus profond de nous… Réussi de bout en bout, dans le souffle qu’il faut, ce Sigmaringen, un des livres majeurs de ce début d ’année.

« Décor en trompe-l’œil… où nous avions tous joué la comédie des apparences. La représentation de “Vichy sur Danube”, une comédie tragique et bouffonne »… Sigmaringen, un lieu – Allemagne du sud ; une brèche, un appendice, dans l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale. On connaît ce refuge installé dans le vieux château des Hohenzollern ; nid d’aigle au-dessus des derniers bruits de la guerre, où le régime Hitlérien serra les gouvernants de Vichy – pêle-mêle, et le peuple fourre-tout des collaborateurs en déroute. On a beaucoup lu – Histoire ou romans ; mémoires aussi, sur ces quelques mois quasi immobiles au-dessus du vide. « Principale activité au château, tuer le temps ».

Le roman d’Assouline ne rassemble pour autant rien, en une énième synthèse. Vraie réussite novatrice, parce qu’il fait de cette époque dense et courte et de ses habitants une scène de théâtre où alternent l’éclatant et le sombre, la vie qui fuit, la mort qui rôde. Scène où paradent des premiers rôles, des figurants, quelques seconds couteaux qui traversent au ras des lampes. Des tirades tonnantes, beaucoup de murmures dissonants ; des hommes – illustres – de sinistre mémoire, quelques femmes, et le décor somptueux, gavé d’histoire, miteux parfois, de ce palais de la grande Allemagne, comme arrêté face aux derniers hurlements de la terreur nazie.

Remarquable choix, attachant personnage, le narrateur est le majordome Julius Stein, dirigeant les serviteurs de ce palais des ombres noires. Autant dire qu’il voit, surveille tout dans les couloirs, les chambres et autour des tables où les topinambours sont servis sur des plats d’argent. Stein est un regard, un œil, un mystère pour ceux des « Vichy » ou des Français de la ville – étrange petit Koblenz – « plus fascistes que la plupart des allemands d’ici » – qui s’épanchent, grognent, débinent ou jalousent. Mesquineries des prisons dorées, où les femmes de ministres en viennent à voler les fourchettes aux armes des Hohenzollern. L’Histoire, ainsi tient dans un verre, et tourne en rond de petite promenade où Pétain, la Maréchale et quelques fidèles font les cent pas, jour après jour, de saison de vignobles roux en saison de glace… Ils sont tous là, ces ignobles à la hiérarchie précise dans les horreurs commises, avec leurs épouses, familiers, animaux (Céline tourne en ville, son chat sur le cœur : « son regard hors les gonds et son léger grain », diagnostique Stein, « qui n’a, pourtant pas lu Céline »). On en retiendrait presque son souffle, tant ils sont ressuscités – faciès, petitesses, morgue. Lesquels éclairer ? Darnand, sa constante toute puissance, Doriot et sa violence, l’aristocratie naturelle de De Brinon ; la folie, ou ses abords, qui plane : Laval et sa femme qui « appelait ses chiens restés en Auvergne, depuis la terrasse ». Ce petit monde de marionnettes, comme en un jeu d’échecs, a ses blancs et ses noirs. Ceux qui – ministres actifs – animent à hauts cris un Vichy-bis, qui croient encore à un retournement favorable, à coups de conseils des ministres-jouets, décrétant à tout va ; ceux – ministres passifs – qui, dépressifs politiques, survivent, simplement. Au-dessus du troupeau, l’Olympe du Maréchal (tout en haut du château) dont l’objectif premier est de ne jamais croiser « ceux du Président Laval » – haine recuite transposée dans cet exil germanique. « Le soir, comme dans la journée, ils se rassemblaient entre semblables ; les uns avec les autres autant que les uns contre les autres ».

Mais, le Sigmaringen de Pierre Assouline se veut pièce suffisamment travaillée et ciselée, pour poser au-devant – traits forts et colorés, précis et fins de personnages de scènes chinoises anciennes – Stein et Jeanne l’intendante (un autre mystère) – vague origine française. Un amour fait son nid, de lingerie en cave du maréchal… autour d’un piano, qu’on imagine poussiéreux au tournant de la Galerie Portugaise. Superbe façon d’amener la Civilisation allemande, par son biais musical, tournant le dos à la barbarie (l’image passe de ce Pianiste en noir et blanc au fond du Ghetto effondré de Polanski)… et Bach, et Beethoven… « – mais, il n’y a que des lieder de Schubert ! – je vous l’ai dit : mon autre religion ! ». Et, comme s’en vont les heures vers la fin de la guerre, se font jour, peu à peu, les secrets d’une voix de baryton loin, en 1933, comme une résolution : « je ne chanterais plus, tant qu’ils seraient là ». Un marqueur élégant de culture face aux onze ans de silence… quelques pages magnifiques, fortes en émotion, levant haut le front… Assouline, par cette facette, presque inattendue, de son documentaire si précis et passionnant, change le tempo (Sa comédie sombre chante, et se change du coup en opéra tragique !). A ce récit, la bande-son donne, et avec quelle maestria, toute la palette des résonances émotionnelles propres à l’homme, et du coup, la lumière des dernières lignes du livre, comme final d’espoir :

« C’était au Titania Palast, un ancien cinéma… Leo Borchard tenait la baguette. Il eut à cœur de programmer le “Songe d’une nuit d’été” parce que Mendelssohn en était l’auteur… alors, j’eus véritablement le sentiment ineffable du retour à la vie… ».

 

Martine L Petauton

 


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A propos de l'écrivain

Pierre Assouline

 

Pierre Assouline, né en 1953, journaliste, écrivain, auteur de biographies, de romans, membre de l’académie Goncourt.

 

A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)