Secondes rouges, Gebran Saad (par Didier Ayres)
Secondes rouges, Gebran Saad, préf. Philippe Tancelin, trad. Mohammed El Amraoui, illust. Safwan Dahoul, éd. Al Manar, 156 p., 2025, 19 €

Tension
Le dernier livre de Gebran Saad, poète syrien exilé en Suède, est d’une approche complexe. D’une part à cause de l’édition bilingue (Arabe/Français), de la dédicace en Anglais, ce qui fait « danser » en quelque sorte l’esprit du lecteur que je fus. Il y a eu d’ailleurs deux temps pour moi : temps du mystère et temps de clarté. Cette clarté accompagnait l’idée du désir : clair désir d’un être pour un autre être, tout simplement. Désir de corps, désir de langage, désir spirituel. Tout cela a produit une tension, un mouvement qui se refermait sur lui-même comme une boucle, un cycle, un cercle, une sphère, et devenait énigmatique. Car ces poèmes sont d’une espèce où l’âme joue un rôle, l’âme du poète qui s’arroge le droit de parcourir sa sensibilité. Je garderai donc ces deux mots : mystère et désir.
Je crois qu’il faut citer quelques mots de la préface de Philippe Tancelin, poète et philosophe : « Face aux ténèbres en embuscade dans les mots, à la lisière du secret avide de la confession et ses simulacres de vérité, la métaphore audacieuse annonce une existence plus forte que le cri, plus pénétrante… ».
Sachant cela l’on voit comment le travail de la prosodie importe beaucoup, même si celle-ci provient d’une langue étrangère. L’univers du poème est fluide, appelle la transparence, mais sans jamais quitter le monde secret, le sacré, langue à laquelle il faut une langue.
Ô enfant en fuite
entre ma mort et ce poème
accroche ton tablier nu
sur les cartes de la ville
et viens qu’on cavale ensemble dans nos vies
Assez vite le lecteur est confronté à la question du corps-à-corps. De la consommation des corps. De l’écume des corps. Ou tout ce qui lie la femme à l’homme. Donc, à la fois l’étoile, la nudité de toutes choses et l’alcôve. Il faut redire que l’entreprise de clarté est dépendante du désir. Comme condition d’émergence du poème. Comme tension intérieure et extérieure. Le désir comme machine, comme mouvement, le désir comme combustion des êtres. Lyrisme. Inspiration des muses, muses qui ne savent pas le rôle de muse que leur prête le poète. Donc, un sentiment souterrain, profond, enfoncé dans la chair des aimées.
L’amant et l’amante (ensemble) :
C’est ainsi que nous sommes
Nous avançons dans le vaste silence des baisers
Et nous chantons nos destins
riches et pauvres
résignés et tragiques
ou
Il est tombé d’en haut
a dérobé deux étoiles
puis a broyé les panthères
avec ses mains
pendant que nous dans le noir
nous boutonnions notre nudité.
Didier Ayres
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